Interview exclusive: Tapé Groubera « Architecte de la Renaissance Africaine »
Tapé Groubera, président du Mouvement pour la Renaissance de l’Afrique (MORAf), est une figure emblématique engagée dans la réflexion sur l’avenir politique et culturel du continent africain. Auteur de plusieurs contributions analytiques, il s’interroge notamment sur les dynamiques de pouvoir en Côte d’Ivoire et sur les stratégies des dirigeants africains. Dans cet entretien, il partage sa vision sur les défis actuels de l’Afrique, les mécanismes historiques influençant la politique contemporaine, et les voies possibles vers une véritable renaissance africaine.
Sur votre parcours et vos idéaux
Jombelek : Vous vous présentez comme un patriote africain engagé. Quel moment précis de votre vie vous a convaincu de prendre la plume pour défendre vos idées ?
Mr Groubera : Bonjour chère sœur. Merci pour l’invitation.
Permettez que je me présente brièvement. Je suis Tapé GROUBÉRA, originaire de l’enclos colonial, désigné « Côte d’Ivoire ». C’est là-bas que je suis né, j’ai fait mes études primaires, mes secondaires et universitaires. Ensuite, je réside actuellement en Belgique, où je suis arrivé en 2005. Là, j’ai de nouveau repris les études pour enseigner les mathématiques dans les athénées et écoles polytechniques. J’ai créé depuis 2001, le mouvement pour la renaissance de l’Afrique (moraf). Mouvement que mes camarades m’ont confiée la présidence.
Pour répondre à ta question, mon engagement est né d’un questionnement depuis le primaire. En effet, au primaire, en classe du cours moyen première année (CM1), nous avions un livre d’histoire. Et dans ce livre, il était mentionné que « l’Afrique est le berceau de ’humanité ». Et je me suis posé comment nous étions les premiers sur Terre et comment se fait-il que nous (les Africains mélanisés) en sommes arrivés à ce stade ? Et cela m’a par la suite taraudé l’esprit. Et puis, comme j’aimais lire, en 1996, j’achète à la librairie « par terre » « Nations, nègres et Culture » du plus grand savant du 20 ème siècle Cheikh Anta Diop. J’avais acheté le tome 1 (et j’ai pu avoir plus tard le tome 2). Et là j’ai beaucoup appris en lisant ce chef-d’œuvre scientifique. Je notais pour apprendre pas pour écrire. Entre temps, j’avais obtenu un poste à la Mairie de Cocody, un poste chargé de l’éducation. Et mes camarades m‘ont élu comme délégué syndical. Et je devins secrétaire général adjoint du Syndical communal. Et puis le 24 décembre 1999, vint au pouvoir, en Côte d’Ivoire, un régime militaire. C’est comme ça que je fus renvoyé par le maire d’alors, disait-il pour faute grave. Mais l’Inspecteur du travail lui demanda de me réintégrer pour vices de procédures. Ce qu’il refusa. Et les 18 et 19
février 2000, eurent lieu deux jours de grève. Les militaires qui ne voulaient pas de « bruits » se sont rendus sur les lieux, j’ai été conduis au camp. Mais comme l’affaire n’était pas remontée encore au sommet, après quelques « pompes » et des conseils d’usage du commandant, j’ai été libéré. Mais quand je fus convoqué un mois plus tard, je compris qu’il fallait que je quittasse le pays. C’est ainsi que je me suis retrouvé d’abord, en Allemagne. C’est de là-bas, que j’ai appris qu’un coup d’état orchestré par la France chiraquienne, exécutée par l’ancien président du Burkina Faso et l’actuel chef de l’État ivoirien, M. Alassane Dramane Ouattara. Ayant vu un article dans « le Monde Diplomatique », je repliquai. C’était mes premiers écrits, en dehors de mes publications que j’avais lorsque j’étais secrétaire général du syndicat des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire, section de la faculté des Sciences et techniques (FAST). Concernant mon premier ouvrage, la question de la dette me taraudait l’esprit. Et je voulais en savoir plus. J’avais fait plusieurs manuscrits sur les institutions de Bretton Wood. Et pendant la période du « Covid 19 », j’ai produit ce premier livre. Et cela, grâce au professeur Léandre Sahiri et sa maison d’édition Maybro Foundation.
Jombelek : Si vous deviez résumer votre vision de l’Afrique en une métaphore, quelle serait-elle ?
Mr Groubera : La situation du Contient-Mère (Afrique) se résumerait à : « Vivre très près d’un
fleuve d’eau potable et avoir soif ». Nous avons les richesses et les ressources humaines, mais nous avons des dirigeants au service des ennemis de l’Afrique, c’est-à-dire, à la solde de l’impérialisme. Entendons-nous bien. Lorsque je parle d’impérialisme, il s’agit de ceux qui veulent avoir un empire dans lequel, les pays africains sont des vassaux.
Jombelek : En tant que disciple de Cheikh Anta Diop, comment votre pensée s’inscrit-elle dans la continuité ou l’évolution de la sienne ?
Mr Groubera : Le professeur Cheikh Anta Diop nous avait ordonné de nous armer de sciences jusqu’aux dents. C’est ce que nous essayons de faire. Le professeur Cheikh Anta Diop était tellement immense que ma modeste personne ne peut que m’approprier ce qu’il a écrit et les thèses développées qui, je le rappelle toujours d’actualité. Par exemple, dans son ouvrage « barbarie ou civilisation », il développe la thèse de l’apport de nos Ancêtres Africains mélanisés de la vallée du Nil. Le professeur Noussêrê Kalala Omotundé l’a enrichie avec ses deux premiers ouvrages « L’origine négro-africaine du savoir grec, Vol. 1 et « Les racines africaines de la civilisation européenne vol. 2 » qui parurent respectivement en 2000, en 2002 aux Editions MENAIBUC. Ma modeste personne vient d’écrire mon troisième ouvrage portant le titre « De l’origine africaine des mathématiques modernes » qui paraît à la mi-février 2025. J’essaie de confirmer un des éléments de la thèse du grand maître le professeur Cheikh Anta Diop.
Sur vos projets passés et à venir
Jombelek : Parmi vos projets marquants, lequel vous a semblé avoir le plus grand impact et pourquoi ?
Mr Groubera : Ce sont incontestablement les publications de mes pensées et mon engagement panafricain engagé à travers mes ouvrages « Ces Africains ennemis des africains », publié en mai 2020, et « Et, De Gaulle trahit l’Afrique », parut en février 2024. Cela m’a permis de sortir de ma posture défensive à l’offensive, du révolté à l’engagé révolutionnaire qui propose une rupture, et celle-ci doit emprunter notre propre paradigme. L’Africain mélanisé ne peut pas avoir vécu seul pendant plus de 100 000 ans sur le Contient-Mère, et puis seulement en 2 000 ans, les Leucodermes (ou Caucasiens, appelés « Blancs ») vont écrire qu’ils sont ceux qu’ils ont tout découvert. Alors que ces derniers n’existent seulement, il y a 4700 ans comme cela fut publié par les travaux des chercheurs occidentaux dont la chercheuse biologiste généticienne Eva-maria Ceigl dans le Mord série « Science & Vie » N° 313 de mai 2024.
Jombelek : Vos livres « Ces Africains ennemis des africains » ou « Et De Gaulle trahit l’Afrique » posent un constat commun. Y a-t-il des signes aujourd’hui qui vous donnent espoir en un renouveau africain ?
Mr Groubera : Absolument. Vous savez très chère, qu’il faut que notre engagement obéisse à cette maxime : « Nous sommes tenus par les obligations de moyens et non de résultats ». Qu’est- ce que je veux dire. En tant qu’Humain, notre Existence sur Terre est limitée (mais notre vie est illimitée). Il nous faut apporter notre modeste contribution à la lutte juste que le professeur Cheikh Anta Diop a commencé. Et donc, faire de telle sorte que les quelques outils (livres, publications, vidéos, etc.) que nous produisons puissent servir aux générations africaines et Afro-descendantes futures.
Jombelek : Avez-vous des suggestions pour permettre aux Africains et sa diaspora de vivre pleinement leur identité, la solidarité entre africains, malgré de multiples agressions et déracinements de tous types?
Mr Groubera : La première des choses, c’est que les Africains et les Afro-descendant(e)s sortent du complexe de d’infériorité créé de toute pièce par les occidentaux. Cela passe d’une part, par s’imprégner des ouvrages du professeur Cheikh Anta Diop. Ensuite, la lecture des livres des disciples du professeur Cheikh Anta Diop. Je citerai de manière non exhaustive : les professeurs Théophile Obenga, Noussêrê Kalala Omotundé, Doumbi Fakoly, Mbong Bassong, Seck Reckmire Govi, René -Louis Etilé, etc. Puisque nous sommes à l’ère du numérique, le visionnage des vidéos de ses disciples est extrêmement important. Le professeur Noussêrê Kalala Omotundé, avant de transiter, à fait un travail énorme dans ce sens. Et puis, ne plus faire des razzias et déportations (désignés par esclavage) et d’occupation de l’Afrique(baptisée colonisation), l’histoire de l’Afrique. Car si nous considérons cette parenthèse de maximum 600 ans (de razzias et déportations et d’occupation de l’Afrique) à l’échelle de la vie de l’humanité qui a débuté, il y a 2,3 millions d’années en Afrique, c’est comme une goutte d’eau chaude dans la mer. Cela représente approximativement 0,03%. En deuxième lieu, ils doivent savoir que le racisme est institutionnalisé. Et, ce ne sont pas des peines ou des amendes infligées à quelques individus leucodermes ignorants qui mettra fin à cela. Il n’y a pas longtemps, les Occidentaux (Européens) parlaient de « chinoiseries ». Mais aujourd’hui, ce sont ces mêmes Chinois qui sont adoubés par les Européens. Enfin, il faut que les Africains sortent des religions dites révélées abrahamiques : Christianisme, Islam et judaïque. Tout comme les spiritualités de l’Orient. Car elles sont incompatibles avec notre propre spiritualité, qui est scientifique. De plus, en embrassant les religions des autres, nous Africains, confirmons et certifions ainsi que la classification raciale qui est faite par les Indo-Européens (Européens et Sémites) est avérée.
Sur le travail de proximité et la mondialisation
Jombelek : Personne ne peut ignorer l’importance du travail de proximité, qui pourtant peut paraître lointain au quotidien. Comment cet engagement peut-il coexister avec les impératifs de la mondialisation ?
Mr Groubera : D’abord, il faut que nous, Africains, sachions qu’il n’y a pas de mondialisation nouvelle. C’est d’abord, dans la vallée du Nil, puis au 14 ème siècle de l’ère chrétienne, dans l’empire du Mali que naquirent les premières et vraies mondialisations. Ce que nous observons depuis la « tombée du mur de berlin », c’est une autre forme d’oppression et d’exploitation, c’est-à-dire la continuité de l’esclavage (razzias et déportations des Africains mélanisés) et de la colonisation (occupation de l’Afrique). L’économie c’est de l’énergie. Or les Européens n’ont pas de ressources chez eux. Cependant, ils maîtrisent le circuit financier par lequel, ils s’approprient les ressources africaines en échanges de feuilles qu’on appelle billets de banque.
Jombelek : Comment pensez-vous qu’une véritable renaissance panafricaine peut émerger à l’ère de la globalisation économique ?
Mr Groubera : Il y a depuis 2022, une dynamique qui est en cours dans trois pays (Burkina Faso, Mali et Niger), les pays de l’AES (Alliance des États du Sahel). Nous apportons notre modeste contribution afin que cette Alliance s’étende à au moins 20 à 30 pays de l’Afrique subsaharienne. En plus de ce qui est fait merveilleusement dans ces trois pays que je viens de citer, il manque l’aspect spirituel. Dans ces trois pays, l’Islam est très omniprésent, suivi du christianisme, notamment dans les grandes villes du Burkina Faso. Or toutes ces religions abrahamiques, sont des outils de division et d’exploitation des Africains. La renaissance africaine ne doit pas seulement être économique, elle doit s’opérer dans tous les domaines, et singulièrement dans la spiritualité.
Jombelek : Quels outils ou plateformes, selon vous, pourraient mieux connecter les initiatives locales africaines aux opportunités globales ?
Mr Groubera : S’il y a une volonté politique réelle, consistant à promouvoir l’unité de l’Afrique, on peut réellement créer cette connexion. Cette volonté politique doit s’appuyer à réunir la diaspora africaine, les Afro-descendants et ceux qui sont restés sur le continent. Aujourd’hui, plusieurs outils numériques peuvent utilisés pour créer cette connexion, au départ. Ensuite, des échanges physiques doivent suivre.
Sur le panafricanisme et la diversité culturelle
Jombelek : Comment équilibrer les idéaux panafricanistes avec le respect des identités culturelles spécifiques à chaque nation ?
Mr Groubera : Le professeur Cheikh Anta Diop, en 1959, publia un autre livre très important à savoir « L’unité culturelle de l’Afrique Noire ». Il n’y a pas, à proprement parlé, de différences fondamentales entre les identités des nations africaines. D’autant plus que les nations constituées à la suite du Congrès de Berlin qui s’est tenu du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, se sont faits sans tenir compte des réalités des entités existantes. Par exemple, le peuple Éwé, fut dispersé entre le Ghana et le Togo. Donc, c’est l’appropriation de notre passé, à travers les humanités classiques africaines qui vont consolider cette unité culturelle. Nous sommes en Afrique des peuples qui sont régis par le matriarcat. En Afrique ancienne, l’homme et la femme ne sont pas égaux, mais complémentaires. Notre spiritualité, scientifique, doit être au centre de tout, notamment la Maât. Il nous faut revenir à nos fondamentaux dont j’ai fait cas précédemment.
Jombelek : Les différences culturelles sont parfois sources de tensions. Quel rôle la littérature peut- elle jouer pour encourager une meilleure compréhension entre peuples africains ?
Mr Groubera : Au risque de me répéter, je dirai que si nous, Africain(e)s, nous nous employons à nous approprier notre passé, de parcourir les humanités classiques africaines, nous nous rendrions compte qu’il n’y a pas de divergences entre nous. Tous les peuples africains ont tous la même cosmogénèse.
Jombelek : Vous parlez souvent d’unité africaine. Quelle serait votre définition concrète de cette unité ?
Mr Groubera : L’unité africaine dont nous parlons, repose sur un triptyque : union politique, la souveraineté et union culturelle et spirituelle. Sans unité africaine, pas de salut pour les Africains. Sur la jeunesse et la transmission
Jombelek : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes Africains pour qu’ils développent un sentiment d’appartenance sans tomber dans le rejet de l’autre ?
Mr Groubera : La connaissance des humanités classiques et l’initiation à la spiritualité africaine est gage d’une Renaissance. C’est ce que je pourrai inviter les jeunes Africains et Afro-descendants à opérer.
Jombelek : Comment la jeunesse peut-elle s’approprier l’héritage de Cheikh Anta Diop et d’autres grands penseurs panafricanistes pour répondre aux défis actuels ?
Mr Groubera : La jeunesse doit sans relâche s’informer, se former afin de transformer le continent-Mère. Les ouvrages du professeur Cheikh Anta Diop doivent être lus et bien ingurgités. Il y a d’autres publications panafricaines d’ouvrages qui peuvent servir de base dont on doit s’approprier. D’ailleurs, le professeur Coovi Gomez avait fait des émissions sur les 500 livres panafricains. La jeunesse doit, à défaut de les avoir, écouter ses vidéos.
Sur votre écriture et vos réflexions
Jombelek : Vos écrits sont souvent incisifs. À qui s’adressent-ils en priorité : aux Africains en quête d’identité ou aux décideurs politiques ?
Mr Groubera : D’abord aux élites africaines. Certains ignorent l’Histoire de l’Afrique et sont aliénés. En revanche, certains se comportent comme des ennemis de l’Afrique et des Africains. Ces derniers sont minoritaires mais nuisibles en ce sens qu’ils sont mis en avant pour propager les paradigmes des autres et dénigrer nos valeurs. Nous essayons de le montrer aux Africains « fragiles » afin qu’ils ne s’aliènent pas eux aussi. Notre salut c’est la Connaissance par la Science.
Jombelek : Si vous deviez écrire un manifeste pour l’Afrique du XXI e siècle, quelles en seraient les trois idées fondatrices ?
Mr Groubera : Les Africains et les Afro-descendants sont debout. Et ce sursaut est irréversible. L’éveil et le réveil de l’Afrique au service d’une humanité réconciliée avec elle-même.
Jombelek : Votre travail critique parfois les élites africaines. Avez-vous une autre approche à suggérer pour une meilleure gestion et respect de l’identité de chaque pays d’Afrique ?
Mr Groubera : Il faut que nos élites aient le sens de croire en eux. Beaucoup d’entre eux, sont aliénés, en ce sens qu’ils ne croient en aucune valeur africaine. Tout est venu de l’extérieur au
Continent-Mère, selon eux. C’est une extraversion de paradigme. Pour cela, il faut lire le professeur Cheikh Anta Diop et ses disciples. Au niveau de la spiritualité, il faut célébrer nos Ancêtres comme le font les autres. Par exemple, parmi les dix commandements de la bible, après les quatre premiers consacrés à Dieu, le cinquième indique « Honore ton père et ta mère afin de vivre longtemps dans le pays que l’Eternel, ton Dieu, te donne » 1. Si tout Chrétien le respecte, et que ses parents le font également, et puis ses grands-parents, on a par transitivité les Ancêtres à honorer comme le demande la spiritualité africaine. On ne devrait plus jurer sur ni la bible, ni le coran en Afrique. Mais on doit initier chaque dirigeant dans le culte des Ancêtres. Question ouverte
Jombelek : Si vous pouviez partager un message universel pour l’avenir de l’Afrique, que souhaiteriez-vous que le monde retienne de vos idées ?
Mr Groubera : L’Homme est né en Afrique, y a vécu pendant au moins 100 000 ans avant de chercher à conquérir les autres parties du monde. Le Mélanisé (ou Nègre) est le seul à pouvoir parler de la naissance de l’Humanité à nos jours. Ce n’est pas ces 6 siècles de déportations et d’occupation qui doivent définir son Histoire. Nous devrons réconcilier l’humanité en restituant la varie Histoire. C’est pourquoi, j’aime toujours écrire : L’Histoire est le tribunal des Peuples.
Interview réalisée par Johanne Elie Ernest Ngo Mbelek alias Jombelek
Paris (France), le 16 Janvier 2025
jombelek@gmail.com