Diasporas et Développement / contribution de Ana Elisa de Santana Afonso pour une étude profonde de la diaspora mozambicaine

Publié le 09/11/2021 | La rédaction

Mozambique

Qu'apportent les diasporas à leur pays d'accueil et surtout à leur pays d'origine ? Pour répondre à cette question plusieurs invités ont apporté leur éclairage. Cette fois-ci, votre portail d'information en ligne www.jumelages-partenariats.com a mis le cap sur le Mozambique afin de recueillir la contribution de Ana Elisa de Santana Afonso. Elle est Directrice du bureau régional multisectoriel de l'UNESCO pour l'Afrique et propose des pistes pour une profonde étude visant d'abord la clarification de la notion de ‘’diaspora mozambicaine’’ en insistant sur sa catégorisation due à l'histoire très mouvementée de ce pays.

Dans la configuration de la diaspora mozambicaine, il est important de prendre en compte des facteurs géographiques, historiques, économiques et politiques tout au long de l’Histoire de mouvements de peuples et individus du territoire mozambicain. Toutefois, il faut souligner que le concept de diaspora mozambicaine n’est pas encore clairement énoncé, compte tenu de l’état de l’étude et de l’absence d’une politique nationale sur les migrations. C’est ainsi, que le concept de diaspora mozambicaine est associé ou synonyme de migrants et s’intègre dans le cadre des études démographiques sur la population, mais aussi les relations internationales. Lors du cycle de conférences sur la diaspora mozambicaine organisée par le INACE, au cours du mois de septembre 2021, seules les personnes de nationalité mozambicaine qui résident à l’extérieur du pays et inscrites dans les consulats du pays à l’extérieur, semblent faire partie de la diaspora.

 La formation de la Diaspora Mozambicaine

Situé sur la côte orientale africaine qui compte environ 2.700 Km, le Mozambique est l’un des pays dont les frontières définies par la Conférence de Berlin (1885), ont été tracées sur une ligne verticale, contrairement à celles de la plupart des pays africains qui ont été dessinées sur un axe horizontal, de la côte vers l’intérieur. Cette position géographique du Mozambique fait que seulement trois de ses douze provinces ne sont pas côtières et qu’un grand nombre de ses groupes ethnolinguistiques peuplent ces zones. Ceci a favorisé le contact entre ces populations et les peuples qui naviguèrent dans l’Océan Indien, créant des peuples, des langues et des cultures métissées, tel que le Swahili. Le peuplement des Îles de l’Océan Indien sont un exemple de la présence de personnes d’origine mozambicaine, comme à l’extérieur du continent, en Asie et dans la péninsule arabique.

Malgré sa position géographique, le Mozambique a participé activement au commerce transatlantique surtout après l’abolition du trafic d'esclaves, ce qui explique aussi la présence de personnes d’origine mozambicaine dans les Amériques et la Caraïbe et qui mérite d’être approfondie comme étant un marqueur de cette présence du Mozambique dans ce continent.  

Compte tenu du violent processus de décolonisation dans la plupart des anciennes colonies portugaises, il faut considérer également les déplacements forcés de populations mozambicaines vers les pays voisins et ailleurs pour des raisons politiques. De plus, le précaire et discriminatoire système éducatif a entamé l'envoi d’étudiants d’une classe « d’assimilés » vers l’ancienne métropole pour y fréquenter les collèges, les lycées et les universités. Bien que numériquement réduit, ces étudiants ont intégré la diaspora formée de ressortissants d’autres pays africains de langue officielle portugaise (PALOP), rassemblés autour de la « Casa de Estudantes do Império », Association de la société civile qui a constitué, pendant le Salazarisme, l’un des noyaux de résistance à la dictature et s'est affirmée pour l’émergence du nationalisme. Malgré les résistances à la colonisation à l’intérieur du pays, la conscience nationale a été développée au sein de cette diaspora instruite. Elle s’est traduite par une production littéraire, artistique et idéologique, marquée par le désir de retour au pays d’origine qui démontrait ainsi la participation de la diaspora à sa libération. Ces migrants ont été responsables de la formation de mouvements politiques non racialisés dans la clandestinité qui rassemblaient leurs membres à partir de leurs origines mozambicaines communes.

Après l’indépendance, le Mozambique a été l’un des pays africains qui a appartenu au Bloc Socialiste et a établi des relations de coopération avec eux. Parmi les mesures prises par le premier gouvernement du pays, il y a lieu de souligner les accords pour la migration de travailleurs vers l’ancienne RDA, ou des adolescents et jeunes pour étudier à l’extérieur du pays, comme à Cuba et d’autres pays communistes de l’Europe de l'Est.

Pendant la période de la meurtrière guerre civile qui a fait environ un million de morts, des milliers de mozambicains ont été obligés de partir dans les pays voisins pour vivre de façon précaire dans des camps de réfugiés, ou dans des zones sub-urbaines des pays voisins pendant une période longue de seize années. Avec la Signature des Accords de Paix en 1992 et le multipartisme, s’ouvre une nouvelle ère de migrations volontaires et forcées vers de nombreuses destinations et pour des raisons les plus variées.

Le Mozambique est aussi l’un des pays côtiers frappés par les changements climatiques qui provoquent des catastrophes naturelles de toutes sortes :   des inondations, la sécheresse,  les cyclones et entraînant le départ de milliers d’individus et familles, y compris des femmes, hors des frontières en situation sanitaire d’extrême vulnérabilité.

Sans vouloir dresser un tableau sombre de ces mouvements migratoires contraints, il faut également prendre en considération dans la caractérisation de cette diaspora, des mouvements plus récents des populations du nord du Mozambique victimes du terrorisme qui sévit dans le continent et en particulier, sur la côte orientale africaine.

Ceci étant, il y a lieu de noter que la caractérisation des diasporas mozambicaines doit être faite selon la période historique, le type de population qui émigre, les conditions des migrations, les pays et continents d’accueil, de façon à ce que la caractérisation de cette diaspora soit libre de tout stéréotype, condition nécessaire pour la définition d’une politique de la diaspora, sa contribution à la paix et au développement du pays.

Définition de la diaspora mozambicaine en question

A propos de la diaspora mozambicaine, il est nécessaire de distinguer, dans la définition nationale,   diaspora lusophone et diaspora africaine au Portugal où la diaspora mozambicaine se fond et se confond avec la seconde. Dans cette démarche, les questions liées à la création de l’État-nation, le nationalisme, la citoyenneté et le sens d’appartenance à la nation mozambicaine, semblent mériter  attention.

Dans les anciennes colonies portugaises, la construction de la nation a été faite par les luttes armées de libération nationale ce qui a créé des communautés de réfugiés dans les pays frontaliers. En outre, à l'instar des services sociaux et économiques indépendants des États hôtes et semblables à ceux créés dans les zones libérées (Zonas Libertadas), ces communautés de la diaspora ont développé des pratiques d’éducation civique devenues une expérience pilote pour le pays, à la fois pour le développement du Patriotisme et pour l’unité nationale. Cette diaspora mozambicaine a été présentée comme un exemple de Patriotisme, et les anciens combattants, comme bâtisseurs de la Nation et nécessaires au recrutement de hauts fonctionnaires de l’État.

Lors de l’indépendance, le nouveau gouvernement n’a pas adopté la double nationalité et a fait le choix de l’expulsion de ceux qui avaient renoncé à la nationalité mozambicaine. Nombre de personnes nées au Mozambique avec des ancêtres mozambicains, sans aucune attache avec le Portugal, se retrouvent dans les années soixante-dix dans l’ancienne métropole dans des conditions humanitaires précaires. Ils finissent par s’installer dans ce pays ou émigrent vers d’autres pays européens, donnant ainsi naissance à des générations de personnes d’origine mozambicaine, de nationalité portugaise ou autre, mais ayant toujours un lien d’appartenance au Mozambique. Ces personnes, dont une majorité vivaient dans des quartiers ethnicisés et dans les banlieues des grandes villes étaient en général, dans les premières décennies après l’indépendance, hostiles à l’État Mozambicain. Toutefois, ils gardaient les liens avec leurs familles, leurs communautés, et le pays. Ils ont été un soutien pour le réseau migratoire du Mozambique vers le Portugal et quelques autres pays de l’Europe comme l’Italie, la Suède, le Royaume Unie, entre autres.

L'impact socio-économique de ces migrants, comme les générations qui sont nées hors du Mozambique, est aussi important pour le pays d’accueil que pour le pays d’origine. Cette caractérisation pourrait faciliter la mise en place de stratégies d’intégration de cette population dans le pays d'accueil et le renforcement des liens de coopération et de développement entre le Mozambique et les pays ou cette population est installée.

La racialisation de la Diaspora africaine est l’un des traits caractéristiques marqué par le mouvement de la négritude et pour lequel, le noir, la diaspora Noire donc, est associée au continent africain. C’est d’ailleurs dans le même esprit que s'est bâti le concept de personne d’ascendance africaine qui dès sa naissance a été associé, lors de la Conférence de Durban, à la lutte contre le racisme et la discrimination raciale. Au Mozambique, comme dans d’autres pays africains de l’Afrique de l’Est ou Australe, il y a des petites minorités d’origine européenne, Asiatique et Arabe qui ont émigré à la suite d’événements politiques liés à la décolonisation. Ces minorités revendiquent leur attachement à leur pays de naissance avec lequel ils conservent ou non des liens de proximité.

La question du retour au pays, réel ou seulement envisagé, temporaire ou définitif, dans un but touristique ou économique, est l’un des traits essentiels qui définit la diaspora. L’utilisation des réseaux sociaux et l’internet est cruciale dans la constitution d'une diaspora car ils nourrissent des chaînes migratoires, soutiennent des parcours et de projets de migration tout en consolidant les liens avec le Mozambique. Ces groupes sont un relais dans la construction de l’image du Pays, la promotion du tourisme écologique, culturel et de mémoire. Ils peuvent aussi contribuer à la promotion de l’investissement, à l’assistance humanitaire et au développement communautaire.

 

 Proposition pour l’étude de la diaspora mozambicaine

Sans avoir la prétention d’un historien, ni vouloir limiter l'histoire de la diaspora mozambicaine à la seule période de la colonisation, il serait possible de faire une catégorisation pour l’étude de la diaspora mozambicaine qui tienne compte des critères suivants : l’établissement des frontières actuelles du Mozambique ; la constitution de l’État mozambicain ; la conception de diaspora africaine sous-jacente au panafricanisme, y compris sa vision unitaire et homogène ; l’insertion des politiques de la diaspora dans le cadre de politiques de population, migration, coopération et inclusion.

Ceci étant, la catégorisation de la diaspora mozambicaine pourrait se faire en prenant en compte plusieurs aspects notamment la diaspora africaine exogène au continent ; la diaspora mozambicaine régionale volontaire et forcée ; la diaspora mozambicaine nationaliste ; la diaspora mozambicaine post- indépendance.

En effet la diaspora africaine endogène au continent traite des migrations des peuples Bantou sur une base ethnolinguistique et qui participe au peuplement de l’Afrique. Elle est liée à l’Histoire des grands empires en Afrique australe et à ses relations avec le reste du monde, et couvre la période jusqu’à la démarcation des frontières des actuels États de l’Union Africaine. C’est une phase importante pour la formation de la citoyenneté africaine et la Mozambicanité. Par contre la diaspora africaine exogène au continent couvre la période de la traite Négrière Transatlantique, Trans Indien et trans Saharien. Mozambique est essentiel pour le peuplement des Îles de l’Océan Indien, surtout par les peuples Makoua-Lomwe. Les récentes études sur la présence africaine en Inde, Ancienne Perse, l’Iran et le Moyen Orient sont un défi pour la présence du Mozambique dans le Monde.

Aussi la diaspora régionale volontaire et forcée concerne surtout les travailleurs migrants  majoritairement masculins, non-spécialistes, œuvrant dans le secteur minier et agricole. C’est une diaspora liée à la division internationale du travail et dans le contexte de dépendance de l’économie du Mozambique colonial. Il est important de procéder à la caractérisation des générations nées dans les pays d’accueil, et de mieux comprendre ce qui les relie à leurs origines mozambicaines tout comme les relations qu’ils entretiennent avec les communautés d’origine. Pour ce qui est de la diaspora mozambicaine nationaliste, elle émigre pour des raisons politiques liées à la colonisation ou constituée par des étudiants. Ils forment des communautés de mozambicains dans les pays limitrophes. Ceux qui vont à l’extérieur du continent ont en général une formation de niveau secondaire ou alors vont poursuivre leurs études. La communauté mozambicaine au Portugal établit des relations proches avec des ressortissants des autres anciennes colonies, constituant ainsi une diaspora lusophone des PALOP.

Enfin la diaspora mozambicaine post-indépendance, la première vague de migrants est liée au processus de décolonisation et est constituée par des personnes qui ont renoncé à la nationalité mozambicaine. Viennent ensuite d’autres travailleurs migrants qui ont quitté le pays dans le cadre de l’économie de planification socialiste, ou alors des jeunes étudiants qui vivent à l’étranger pour étudier compte tenu de la faiblesse du système éducatif. De retour au pays, ils ont créé des communautés d'anciens migrants. La guerre civile a forcé beaucoup de mozambicains à se déplacer comme réfugiés en Afrique. Les communautés qui se sont établies dans les pays de la région sont marquées par le conflit.  Il faut également tenir compte des réfugiés climatiques et du terrorisme, dont le Mozambique est malheureusement l’un des exemples en Afrique.

Ana Elisa de Santana Afonso


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