France-Canada/Les villes de France virent au vert et inspirent le Québec

Publié le 03/04/2024 | La rédaction

Canada, France

Depuis 2020, de grandes villes de France multiplient les initiatives pour favoriser le développement durable, le transport collectif et l’égalité sociale. Un mouvement qui inspire des élus au Québec.

La France bleu-blanc-vert, c’est maintenant. Lors des élections municipales de 2020, le parti Les Écologistes, actif aux paliers national et municipal, a créé la surprise en raflant, seul ou en coalition, une dizaine de grandes villes, dont Lyon, Strasbourg et Bordeaux — alors que la formation du président Macron mordait la poussière. Comme si le Parti vert du Québec remportait les mairies de Laval, Trois-Rivières et Drummondville.

Dans un pays où l’aménagement urbain favorise déjà le transport en commun et le logement social, la nouvelle vague de maires veut verdir les villes davantage. Au menu : alimentation locale, bio ou végétarienne dans les cantines scolaires, réduction de la place de l’automobile, aménagements pour les cyclistes, diminution de l’éclairage nocturne, alouette ! Qui dit écolo dit gauche, et des mesures comme l’encadrement des loyers et le logement social font aussi partie des propositions.   

Ces politiques écologistes commencent à attirer l’attention au Québec, où près de 150 municipalités et régions sont jumelées avec leurs vis-à-vis françaises (Bordeaux-Québec, Lyon-Montréal, Tours–Trois-Rivières, Montpellier-Sherbrooke). « On a les mêmes enjeux, la même opposition, le même enthousiasme, les mêmes défis », dit François Limoges, maire de l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie, à Montréal, qui coopère depuis plusieurs années avec Strasbourg sur le thème de la « ville résiliente » afin de susciter l’appui des citoyens à la transition écologique.

L’écologie politique, courant dont se réclament ces élus verts, consiste justement « à anticiper au lieu de subir », explique Léonore Moncond’huy, mairesse de Poitiers — ville de 90 000 habitants dans l’ouest de la France. Comme la plupart des maires écologistes, elle marche dans les traces du maire de Grenoble, Éric Piolle, qui a effectué la première percée dans une grande ville dès 2014. La géographie a sans doute aidé ce dernier à remporter la mairie de cette ville des Alpes. « Un réchauffement de 1 °C par siècle, personne ne voit ça, dit-il. Mais des montagnes qui nous entourent, on peut observer le dôme de pollution. Ça sensibilise tout le monde. »

Les Écologistes y ont testé de nombreuses politiques. « Quand on est arrivé avec la végétalisation des cours d’école en 2019, on s’est fait hurler dessus, raconte Éric Piolle. “Vous allez tout détruire, les enfants vont salir les classes et leurs vêtements.” Finalement, même les mairies de droite veulent des cours végétalisées ! »

À Strasbourg, sur les rives du Rhin, la mairesse Jeanne Barseghian a quant à elle déclaré l’état d’urgence climatique dès son entrée en poste en juillet 2020. Elle investit 500 millions d’euros dans un vaste plan de mobilité : nouvelle ligne de tramway, réseau express cycliste, transport gratuit pour les personnes mineures. Autre projet phare : chauffer 7 500 logements avec la chaleur récupérée d’une aciérie située de l’autre côté du Rhin, en Allemagne, et acheminée par tuyau sous le fleuve !

François Limoges a, lui, été impressionné par le nouvel écoquartier Ostwald, dans la proche banlieue strasbourgeoise, conçu pour réduire les atteintes à l’environnement : 1 500 logements orientés pour profiter de l’ensoleillement, garderie, école maternelle, école primaire, salle multiactivité, commerces de proximité, 30 % d’espaces verts. « Ça nous inspire pour le futur écoquartier du secteur de Bellechasse, dans Rosemont. »

À Paris, dans le 12e arrondissement, les automobiles occupent la moitié de l’espace public, alors qu’elles comptent pour seulement 10 % des déplacements (le quart de la population a une voiture). D’où l’initiative de la mairesse Emmanuelle Pierre-Marie : faire passer la circulation de 7 000 à 2 000 voitures par jour sur la rue de Charenton, voie de transit très bruyante de 3,7 km traversant tout l’arrondissement, et transformer cette dernière en vélorue. Sur une portion de deux kilomètres, les vélos y circulent librement et ont priorité sur les voitures — une première en Île-de-France. « Chez nous, le vélo dépasse désormais la voiture avec 12 % des déplacements », dit la mairesse, qui a renoncé à son véhicule de fonction et au chauffeur dès le jour 1. « On avance quartier par quartier. » 

Les élus municipaux ne se font pas non plus prier pour intervenir du côté des écoles et des garderies (nommées crèches), une compétence des communes — l’équivalent des municipalités au Québec. « On veut que la cour d’école puisse aussi servir de parc », explique Anne Vignot, mairesse de Besançon, près de la frontière suisse. En plus d’augmenter le budget d’investissement des 63 établissements sous sa gestion afin d’améliorer leur performance énergétique, elle travaille au dépavage des cours d’école et à l’apaisement de la circulation des environs.

Les maires ne sont pas les seuls à agir, souligne pour sa part Catherine Hervieu, conseillère municipale à Dijon et conseillère départementale. Dans le but de favoriser l’achat local de légumes, elle a obtenu que la Ville crée une légumerie qui pèlera, râpera et découpera 200 tonnes de végétaux en 2024 pour nourrir les écoliers le midi.

Présidente de la Fédération des élus verts et écologistes (FEVE), qui compte 700 adhérents, Catherine Hervieu recense 2 000 élus écolos dans les conseils municipaux, départementaux et régionaux, dont la plupart sont un rouage essentiel de la coalition de gauche au pouvoir. Cela se sent dans la teneur des réalisations sociales, qui vont très au-delà de l’encadrement des loyers. À Lyon, un premier budget « genré » (les dépenses ne doivent pas avantager les hommes ou les garçons). À Tours, une Maison de l’hospitalité pour les migrants. À Annecy, des distributrices de serviettes hygiéniques bios et gratuites. À Grenoble, l’autorisation du burkini dans les piscines et le bannissement des panneaux publicitaires sur 90 % du territoire. « Pour faire disparaître une couche de capitalisme », explique Éric Piolle.

Évidemment, les verts doivent composer avec des résistances — qui conduisent parfois à des débordements. Emmanuelle Pierre-Marie, qui ne se déplace qu’à pied ou à vélo, a été plusieurs fois agressée verbalement et physiquement, et poursuivie jusque chez elle. « Être femme et écolo, c’est très dur », dit la mairesse, qui a désormais des gardes du corps. « Comme élue de proximité, on est aussi à portée de baffes. »

Tous les maires écologistes envient leurs collègues du Grand Lyon, car la deuxième métropole française avance vite sur le front écologique. Depuis 2020, le président du Grand Lyon est de la même couleur politique que le maire et contrôle l’autorité gérant les transports en commun. Le budget consolidé de cinq milliards d’euros leur donne un pouvoir d’action considérable : gratuité des transports en commun pour les démunis, aide de 420 euros par mois pour les 18-24 ans en difficulté financière, ouverture de 250 km de Voies Lyonnaises, le réseau express vélo.

Cette cohérence du Grand Lyon n’est pas typique du « millefeuille administratif » français, où les conflits de compétences sont nombreux entre la commune, l’intercommunalité (regroupement de communes), le département et la région. Sans compter cette autre institution très française : la préfecture, qui représente l’État dans chaque département. Bien souvent, les préfets, censés contrôler la légalité des délibérations des élus locaux, s’immiscent dans les débats politiques. 

Dans certains cas, les pouvoirs de chaque autorité sont clairs. Les écoles primaires sont du ressort des communes, les collèges (niveau secondaire) relèvent du département et les lycées de la région ! Quant au reste, le partage des responsabilités est un véritable casse-tête.

Par exemple, Anne Vignot, mairesse de Besançon, est aussi présidente d’office du Grand Besançon Métropole, qui regroupe 200 000 habitants de 80 communes, dont presque la moitié comptent moins de 1 000 habitants. Ainsi, Besançon, première ville en France à créer une rue piétonnière en 1974, n’a plus de prise directe sur sa politique de circulation, qui relève désormais du Grand Besançon Métropole. « Pour tripler le budget des pistes cyclables, j’ai dû procéder par sondage pour montrer aux maires que leur population le souhaitait. Bref, c’est compliqué. »

La démocratie est au cœur des préoccupations des Écologistes. « On cherche de nouveaux formats participatifs. Pour renouveler les publics, on offre la garde des enfants aux réunions », illustre Jeanne Barseghian. Dans l’objectif d’introduire plus d’écoresponsabilité dans le célèbre marché de Noël de Strasbourg (trois millions de visiteurs en 2023), elle a sollicité les propositions de la population et constitué un jury de 50 citoyens pour les évaluer et faire des recommandations.

« C’est vraiment au chapitre de la participation citoyenne que nous apprenons le plus de Strasbourg », dit François Limoges. Cette coopération met à contribution non seulement les élus, mais aussi les fonctionnaires et les organismes communautaires. « Parce qu’une politique environnementale ne peut pas se faire contre les gens », souligne le maire d’arrondissement montréalais.

Reste à voir si les Écologistes pourront s’établir durablement, après la percée de 2020. Leur formation, qui s’appelait jusqu’à récemment Europe Écologie Les Verts (EELV), tient une solide place au Parlement européen (9 députés sur 79 en 2019), et personne n’est nerveux pour les élections européennes de juin 2024. 

Après une période difficile de 2015 à 2019, le parti se renforce. Aux dernières élections départementales en 2021, les Écologistes sont passés de 40 à 140 conseillers. « C’est le résultat des batailles qu’on mène dans les villes et de notre travail d’ancrage au niveau local, dit Catherine Hervieu, qui fait partie du nombre. L’écologie touche tout le monde. Le défi sera de sortir de l’image de “bobos” urbains qui nous colle dessus. »

Source:    lactualite.com/


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