Au Canada, on remplace le goudron par des plantes

Publié le 03/10/2022 | La rédaction

Canada

Dire adieu au goudron en ville. Comment ? En dépavant ! L’idée derrière ce projet canadien : retirer le bitume pour diminuer la chaleur urbaine et permettre au sol de mieux absorber l’eau de pluie.

« Maintenant, quand on fait des entretiens d’embauche, c’est sur l’herbe que ça se passe. » Audrée Boudreau se met près de la verdure quand elle recrute. Auparavant, à la place de ce petit sentier vert qui jouxte les bureaux de son association, à Salaberry-de-Valleyfield, près de Montréal, il y avait du goudron. « C’était le parking ici, ça change pas mal ! » Désormais, les plantes indigènes ont pris possession des lieux. « Ça prend vite de l’ampleur. On a des abeilles, pas mal d’insectes... c’est une petite jungle. »

Pour transformer ce lieu goudronné de 300 m2 en îlot végétal, Audrée et près de quatre-vingts autres bénévoles ont dépavé. La mairie, partenaire du projet local porté par le conseil régional de l’environnement de la Montérégie, est venue casser le revêtement, puis les participants ont retiré, à la force des bras, les blocs de goudron. « On avait la partie la plus fun, finalement ! » raconte l’agente de vie de quartier. Ensuite, de la terre a été déversée et les bénévoles ont planté. « C’était un îlot de chaleur et là il y a des plantes, des arbres. On sent la fraîcheur quand on passe. »

 

Mieux réguler les eaux de pluie

À l’origine de Sous les pavés, le Centre d’écologie urbaine de Montréal (Ceum), un organisme sans but lucratif qui tente de transformer l’espace public « par et pour les citoyens ». Il porte ce projet de déminéralisation de l’espace urbain depuis 2017, date du premier dépavage, à Montréal. Depuis, ils en ont lancé une quinzaine. Dans les villes qui le souhaitent, Sous les pavés part à l’assaut des stationnements trop grands ou de cours d’écoles bétonnées, pour « se libérer de l’asphalte », comme l’explique sa directrice générale, Véronique Fournier. « L’idée, c’est de rendre la ville plus écologique, transformer le milieu de vie. On part du constat que dans nos villes, tout a été construit en minéralisant et tous les espaces verts ont déjà été plantés. Il faut donc gagner des mètres sur le béton. »

Cela a plusieurs avantages, notamment d’améliorer l’absorption de la pluie par les sols. En ville, près de 60 % des eaux de pluie ruissellent dans les égouts, qui peuvent vite saturer en cas d’intenses précipitations. « En remettant de la verdure, on s’assure que le sol soit plus perméable. Avec le changement climatique, les précipitations tombent plus vite et plus fort, dépaver est un outil pour lutter [contre les inondations] », dit la directrice du Ceum.

Depuis les débuts de Sous les pavés, elle calcule avoir retiré plus de 2 500 m2 d’asphalte. Chaque année, 700 kilos de polluants ont été détournés des cours d’eau, et 2 700 m3 d’eau ont fini dans le sol et non dans les égouts grâce à la déminéralisation, d’après le Ceum.

En remplaçant le bitume par les plantes, dépaver permet aussi de lutter contre le phénomène des îlots de chaleur. En ville, la température peut monter jusqu’à 12 °C au-dessus d’un milieu rural voisin. Un phénomène aux causes multiples : la perte du couvert forestier en milieu urbain, l’imperméabilité des matériaux, leurs propriétés thermiques, les gaz à effet de serre et la chaleur anthropique.

« On a le sentiment de changer les choses quand on dit bye-bye à l’asphalte »

Ces initiatives font de plus en plus parler d’elles, au Québec et ailleurs, selon Alain Paquette, professeur en sciences biologiques à l’université du Québec à Montréal, qui explore la déminéralisation urbaine. Lui s’intéresse en ce moment aux « saillies drainantes », des extensions de trottoir végétalisées qui absorbent les eaux de ruissellement. D’après lui, l’effet du dépavage, sur des petites surfaces, reste minime. « Mais si on déminéralise beaucoup, sur de grandes superficies, là oui, on commence à avoir des débits intéressants pour limiter les inondations. »

Attention toutefois aux potentiels effets involontaires de ces initiatives : « Dans une ville comme Montréal, on a un défi. L’eau qui ruisselle dans les rues transporte des polluants, particulièrement l’hiver avec les sels de déglaçage », précise-t-il. Autant de contaminants qui pourraient se retrouver dans les sols nouvellement libérés, puis dans les nappes phréatiques.

Avant de dépaver, il faut ainsi bien baliser le projet avec les voisins. Même si Véronique Fournier assure ne recevoir que peu de réactions négatives, « il peut y avoir des questionnements. Des gens se demandent si on n’enlève pas trop de places de stationnement. C’est important de bien sensibiliser tout le monde ». Audrée Boudreau, elle, se souvient que certains riverains avaient grincé des dents, au début du projet. « On a eu des plaintes de citoyens contre le choix des végétaux plantés. Des graminées s’envolaient chez eux, alors ils devaient balayer leur perron. Rien de majeur. Quelqu’un a aussi roulé dans nos plates-bandes : un arbre a été arraché. »

 

Une fois dépavé, il ne faut pas que le lieu soit oublié des bénévoles qui l’ont créé de leurs mains. « On a mis beaucoup de plantes indigènes. L’idée, c’est de les laisser pousser de manière naturelle, sans qu’elles soient envahissantes. On essaie de trouver l’équilibre, ce n’est pas simple », dit Audrée Boudreau en riant. Autre défi : « Prévoir l’entretien. Est-ce le rôle des bénévoles ? De la mairie ? Il faut le savoir dès le début du projet, sinon on est un peu perdus », soutient celle qui, depuis, a réalisé un autre dépavage dans sa ville.

Sur la période 2021-2023, Sous les pavés prévoit la déminéralisation de dix-huit lieux, dans neuf régions du Québec. Trois villes pilotes vont aussi intégrer le projet dans leur communauté. Au-delà du goudron retiré, des degrés en moins et de la verdure en plus, Audrée Boudreau explique que ces expériences de dépavage ont créé des liens durables dans la communauté. « Tout le monde a quelque chose à faire, qu’on soit un adulte ou un enfant. On se sent forts, utiles ! On a le sentiment de changer les choses quand on dit bye-bye à l’asphalte. »

Source:    reporterre.net/

 


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