Niger : l’éducation des filles, un chantier prioritaire de longue haleine

Publié le 12/05/2022 | La rédaction

Niger

Malgré un fort taux de croissance économique, plus de 41 % de la population du Niger vit toujours en situation d’extrême pauvreté. Une situation due à l’explosion démographique du pays, selon le gouvernement, qui vient de mettre en place un office de la population dans le but de réduire le nombre de naissances. Décryptage.

C’est l'une des croissances démographiques la plus rapide au monde. En quarante ans, le Niger est passé d’une population de 4 millions d’habitants à 24 millions, avec un taux de natalité moyen qui dépasse désormais 7 enfants par femme. Un sujet pris très au sérieux par le gouvernement, qui vient de mettre en place un "office de la population". Ce nouvel organisme doit permettre de contrôler la rapide progression démographique, qui "contrarie les capacités d’épargne des familles", a annoncé la présidence dans un communiqué publié fin avril.

Pour remédier à cette situation, le président, Mohammed Bazoum, a promis de généraliser la construction d’internats pour jeunes filles dont la scolarité sera totalement prise en charge par l’État. Le gouvernement a également lancé une campagne de sensibilisation auprès des chefs traditionnels pour combattre les mariages précoces, qui demeurent un fléau national. Selon l’Unicef, 76 % des filles sont mariées par leurs familles avant l’âge de 18 ans, dont 28 % avant l'âge de 15 ans, souvent pour des raisons économiques.

Pour faire le point sur la situation démographique du Niger et les propositions du gouvernement en la matière, France 24 s’est entretenu avec Benoît Toulouse, chercheur-associé au laboratoire Pléiade, spécialiste des questions géographiques et démographiques en Afrique de l’Ouest.

France 24 : Le Niger n’est pas le seul pays d’Afrique de l’Ouest à avoir une croissance démographique élevée. Y-a-t ’il néanmoins des phénomènes spécifiques qui permettent d’expliquer ce taux de natalité ?

Benoît Toulouse : Comme le souligne le gouvernement, le manque d’éducation, spécialement des jeunes filles, est bien sûr un facteur clé. Il existe dans le pays des villages de 5 000 voire 6 000 habitants sans école. Cette situation est due à une politique de scolarité extrêmement défaillante voire même totalement absente, mais également à une faible présence des ONG. Le Mali et le Burkina Faso, par exemple, historiquement plus touristiques, ont bénéficié de plus de soutien international.

La question migratoire joue également un rôle. Contrairement au Mali, le Niger n’a pas une importante diaspora en France qui contribue au développement local et finance la scolarité des familles restées au pays. Un autre facteur clé est l’extrême ruralité du pays. La capitale Niamey est bien moins développée que Ouagadougou ou Bamako, qui sont d’énormes mégalopoles. Plus de 80 % des nigériens vivent en milieu rural. Au Nigeria voisin, ce chiffre est de 48 %.

Enfin, la pauvreté y est également plus importante. Le Niger dépend très largement de l’agriculture qui représente 40 % de son PIB. Or, ce secteur est essentiellement tourné vers l’élevage alors que la plupart des pays de la région favorisent la production de céréales. Cette politique n’amène pas à la sécurisation alimentaire des Nigériens, contrairement à la cultivation des champs qui offrent aux populations des pays voisins un moyen de subsistance.

Le gouvernement a annoncé que la création de l’office de la population a pour but d’amorcer la transition démographique. Pouvez-vous nous expliquer ce concept ?

La transition démographique que souhaite mettre en place le Niger consiste à améliorer les conditions de vie de la population, en matière sanitaire et principalement d’accès à la contraception, mais aussi dans les domaines de l'alimentaire et de l'éducation. À court terme, ces transformations conduisent à une augmentation de la population, due à la réduction de la mortalité infantile, notamment, qui demeure très élevée dans le pays malgré les progrès de la médecine.

Mais à moyen et long terme, cette transition permet une meilleure intégration de la jeunesse, et surtout des jeunes filles, dans la société et de ce fait conduit à une réduction des naissances. Les femmes qui ont accès au monde du travail sont plus indépendantes, ne se marient plus aussi jeunes et font moins d’enfants. C’est par ce biais que le gouvernement compte contrôler la démographie.

Depuis des décennies, les gouvernements successifs au Niger tentent de mettre en place des mesures pour contrôler le taux de natalité, comment expliquer l’absence de résultats ? Le projet actuel a-t-il une chance de porter ses fruits ?

Il ne fait aucun doute qu’en s’attaquant à l’éducation des filles, le président Mohammed Bazoum vise juste. De nombreuses études indiquent que c’est par le biais des femmes que l’on peut lutter efficacement contre la pauvreté. Ce sont elles qui tiennent le ménage mais aussi les finances. Les expériences menées avec les micro-crédits, par exemple, indiquent qu’elles parviennent à économiser bien plus que les hommes.

Pour autant, la scolarité des jeunes filles est un gros chantier au Niger qui doit être mené sur le temps long et nécessite un réel engagement. Certaines familles sont réticentes, particulièrement dans les campagnes où elles ont besoin de leurs filles pour les aider aux champs et chercher l’eau au puits. Le peu d’opportunités professionnelles disponibles, même pour les diplômés, peut également être dissuasif.

Ces mesures se heurtent également aux sociétés traditionnelles. Dans les campagnes, une fille qui n’est pas encore mariée à 14 ans attire la honte sur sa famille. L’excision demeure également une pratique extrêmement rependue et dont il sera difficile de se débarrasser. 

Malgré tout, les choses bougent, même dans les milieux ruraux. L’avènement des nouvelles technologies dans les campagnes, par le biais des portables, utilisés au départ dans le cadre de l’agriculture, permet désormais à la jeunesse une ouverture sur le monde bien plus grande. Avec une moyenne d’âge de 15 ans, l’extrême jeunesse de la population nigérienne est certes un problème tant sur le plan de la force de travail disponible que pour les services hospitaliers de maternité ou pour l’accès à l’éducation. Mais elle incarne aussi le futur du pays et c’est elle qui fera changer les mentalités, bien plus, à mon sens, que les campagnes de sensibilisation gouvernementales. 

Source:    www.france24.com


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