Canada/L’exode hors de Montréal et l’attraction des régions

Publié le 04/02/2021 | La rédaction

Canada

Les médias ont fait grand état du dernier bilan des migrations interrégionales au Québec, rendu public par l’Institut de la statistique du Québec. On y révèle que Montréal a perdu 35 931 personnes dans ses échanges avec les régions de juillet 2019 à juillet 2020, alors que celles-ci enregistraient presque toutes des gains, parfois inédits.

Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’amplifie. L’exode urbain a fait perdre 409 916 personnes à Montréal dans ses échanges interrégionaux entre 2001-2002 et 2019-2020. Si l’on considère uniquement le nombre des « sortants », ce sont 1 092 262 Montréalais qui ont quitté la métropole depuis 2001-2002, dont 62 936 au cours de la dernière année. Ces départs viennent accroître les effectifs des banlieues et des régions limitrophes de Montréal, mais aussi, et en nombres importants, des régions intermédiaires et éloignées, contribuant ainsi à un mouvement de reconquête des régions. La croissance démographique de Montréal qui était de 1,8 % en 2018-2019 est tombée à 0,2 % en 2019-2020. Pour plusieurs régions le bilan démographique global est encore négatif, mais on peut penser que les cohortes majoritaires de jeunes ménages qui font le choix de s’établir en région auront demain une participation importante à la croissance naturelle.

Une tendance qui s’amplifie

 

Dans leur configuration concentrée, les grandes villes apparaissent comme des prolongements artificiels de l’ère industrielle. L’exode des grands centres urbains et l’attractivité reconquise des régions constituent un phénomène constaté partout en Occident. C’est une tendance forte qui traduit le passage progressif à l’ère postindustrielle, c’est-à-dire vers une économie de plus en plus immatérielle, entraînée par la révolution numérique. Plusieurs activités économiques et secteurs d’emplois peuvent désormais s’affranchir de la tyrannie de la concentration. Ce qui ne signifie pas la mort annoncée des métropoles, mais la transition d’un modèle concentré de l’occupation du territoire vers un modèle qui mobilise les villes petites et moyennes et territoires ruraux en région.

La pandémie s’avère à la fois un révélateur et un accélérateur de cette mutation. Plusieurs individus et familles qui entretenaient le projet de déménager à l’extérieur de la grande ville ont été incités à précipiter leur décision. L’adoption du télétravail dans plusieurs secteurs et activités de l’économie a été un facteur important dans la prise de décision. Ce mode de travail exercé à domicile ou dans un centre de coworking, est appelé à prendre plus d’ampleur dans l’avenir, permettant à un nombre croissant de travailleurs de vivre là où ils le désirent.

Pour maintenir leur puissance et leur influence, les grandes villes devront se réinventer, déployant des stratégies de développement axées sur la consolidation de secteurs névralgiques.

Le tandem répulsion-attraction

La pandémie et le boum du télétravail ne sauraient expliquer seuls le phénomène de l’exode urbain. D’autres facteurs, endogènes et exogènes aux grandes villes, interviennent. Du point de vue de la ville, il y a l’impact de plusieurs dysfonctionnements : coût élevé du foncier, de l’habitation et des espaces de production, niveau élevé de la taxation, fortes densités, diverses formes de pollution, déficit des espaces verts, congestion routière, stress de la vie quotidienne, insécurité dans certains quartiers, etc. Ces dysfonctionnements pèsent lourd sur le degré de satisfaction des citoyens.

Du point de vue exogène, la vie en région, avec ses villes petites et moyennes et ses villages, offre un cadre de vie qui exerce une attraction grandissante sur les résidents des grandes villes. Aujourd’hui, des milliers de Québécois sont à la recherche d’un mode de vie plus sain, plus proche de la nature, plus solidaire. L’espace, les paysages naturels, les forêts, l’air pur et la quiétude, voire le silence — autant d’éléments qui ont disparu dans les métropoles —, mais aussi la proximité et le lien social qui sont le propre des petites communautés, sont perçus comme garants de la qualité de vie recherchée. Les villes petites et moyennes et les milieux ruraux deviennent dans ce contexte des solutions de rechange enviables aux grandes villes.

Modèle redistribué

Contrairement aux promesses d’une croissance diffuse qui devait irriguer les régions — des perspectives appuyées par les recommandations du rapport Higgins, Martin, Raynaud de 1970 —, la croissance de Montréal a plutôt asséché les territoires.

La conjugaison d’évolutions économiques, technologiques, sociales et environnementales accomplies au cours des 20 ou 25 dernières années fait en sorte que le modèle de développement spatial concentré tend vers un modèle déconcentré, redistribué, plus équilibré, faisant des villes petites et moyennes des « villes d’équilibre » à travers les régions du Québec. Dans le cadre d’une économie de plus en plus immatérielle, la contrainte de la concentration s’effrite. Non seulement des entreprises ont un choix élargi de lieux d’implantation, mais de nombreux emplois peuvent s’exercer à distance grâce aux progrès fulgurants des technologies de communications. Et les populations suivent.

Nous entrons dans une étape charnière des relations entre les grandes villes et les régions. Le Québec est en voie de réoccuper ses régions, après des décennies d’abandon, par un processus de redistribution de ses forces démographiques et économiques.

La juste compréhension des forces de transformation en cours devrait convaincre les pouvoirs publics de nouvelles orientations à insuffler à leurs politiques et stratégies d’aménagement et de développement territorial. Le Québec de demain se construit avec ses métropoles, ses villes et ses villages à travers tout le territoire, dans des rapports redéfinis.


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