Kenya/Covid-19 : le réfugié qui contribue à sauver des vies dans l'un des plus grands camps du monde

Publié le 25/12/2020 | La rédaction

Kenya

Lorsque Innocent Havyarimana a démarré son entreprise de fabrication de savon dans le camp de réfugiés de Kakuma au Kenya au début de l'année 2015, il essayait de surmonter les événements traumatisants qui l'avaient fait fuir son pays natal, le Burundi, un an plus tôt.

Il était loin de se douter que son entreprise artisanale allait devenir un front de bataille majeur dans la lutte contre la pandémie de coronavirus dans l'un des plus grands campements de ce type au monde - Kakuma compte près de 200 000 personnes.

Dès qu'Innocent a réalisé l'importance du lavage des mains dans la lutte contre la propagation de la Covid-19, il a baissé les prix et a commencé à proposer les savons en plus petites quantités et tailles, pour les rendre plus abordables pour ses pairs.

"Tout le monde a besoin de savon, mais tout le monde n'a pas les moyens de se le procurer. J'ai donc baissé les prix, car il était plus important de protéger les gens que de penser au profit", explique le jeune homme de 35 ans à la BBC.

"J'ai dû augmenter ma production de 75% pour répondre à la demande lorsque la pandémie a commencé, donc Covid-19 a été bon pour mes affaires.

"Mais je me suis assuré de donner du savon gratuit aux personnes vulnérables comme les personnes âgées et les handicapés".

L'initiative d'Innocent a été saluée par le HCR, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, qui souligne souvent la contribution des entrepreneurs réfugiés à leurs communautés d'accueil.

"Les réfugiés jouent un rôle essentiel en aidant à contenir la propagation de Covid-19 à Kakuma", déclare à la BBC Eujin Byun, porte-parole du HCR au Kenya.

"Ils ont aidé de nombreuses manières, de la diffusion d'informations sur le virus à l'aide aux personnes qui prennent les mesures nécessaires".

Mme Byun a déclaré qu'elle n'était pas surprise par la décision d'Innocent de baisser les prix.

"Les réfugiés sont très axés sur la communauté et ils s'occuperont les uns des autres. Ils nous ont déjà aidés à faire notre travail dans des situations comme celle-là".

Elle mentionne un autre cas de Kakuma, celui de Maombi Samil, une réfugiée de 24 ans de la République démocratique du Congo, qui a changé son activité de tailleur pour se concentrer sur les masques faciaux pendant la pandémie. Ses masques sont maintenant portés par le personnel des Nations Unies.

Création d'emplois

Innocent emploie actuellement 42 personnes dans son atelier, appelé GLAP Industries, qui signifie God Loves All People.

Dix-huit de ses employés sont en fait des Kenyans de la ville de Kakuma.

GLAP fournit des entreprises et des institutions locales en dehors du camp et même des organismes de secours.

"Les agences achètent mes savons pour les donner aux réfugiés qui n'ont pas les moyens de les acheter et pour leur propre personnel aussi", note fièrement le Burundais.

Innocent n'est pas le seul marchand de savon local, mais il ne craint pas la concurrence, et propose même des cours pour apprendre aux gens à fabriquer des produits d'entretien.

"Je veux encadrer les femmes et les jeunes afin qu'ils aient la possibilité de devenir autonomes et d'améliorer leur vie comme je l'ai fait", dit-il.

"Je veux aider la communauté de toutes les manières possibles".

Des efforts comme le sien ont permis de tenir Covid-19 à distance à Kakuma.

Les chiffres les plus récents du HCR, datant du 9 décembre, montrent qu'il y a eu 318 cas confirmés mais que seuls huit d'entre eux sont encore sous traitement médical. Il y a eu neuf décès.

Le Kenya, au 13 décembre, avait enregistré environ 91 900 cas au niveau national, avec 1 587 décès, selon les chiffres du ministère de la santé.

Fuir le Burundi

L'instabilité politique et la violence ont forcé plus de 300.000 personnes à fuir le Burundi vers les pays africains voisins au cours de la dernière décennie, selon le HCR.

Innocent était en plein milieu de ses études de chimie à l'Université du Burundi lorsqu'il est parti. Il dit que sa vie était en danger et qu'il recevait des menaces de mort de la part de parents de sa défunte mère, qui se sont également emparés de sa maison.

Après son arrivée à Kakuma, il a voulu gagner de l'argent pour lui-même, plutôt que de compter sur l'aide humanitaire.

Le camp se trouve dans une région isolée et aride où la fourniture de services de base est un défi pour les organismes de secours.

En explorant la région, Innocent a remarqué qu'il n'y avait pas d'usine de savon, ce qui signifie que les produits de nettoyage doivent être apportés de l'extérieur.

"Je n'avais aucune idée de la façon de fabriquer du savon, alors j'ai commencé à surfer sur le web pour acquérir des connaissances", explique-t-il.

Il s'est ensuite inscrit à un cours de fabrication de savon proposé par l'ONG World Lutheran Federation, et grâce à un prêt d'un ancien camarade de classe au Burundi, il a lancé l'entreprise avec deux assistants.

Il a également reçu des subventions d'organismes d'aide humanitaire, dont le HCR, et d'ONG telles que l'African Entrepreneur Collective (AEC), qui affirme avoir soutenu plus de 18 000 entrepreneurs réfugiés.

Des entreprises florissantes pour les réfugiés

"L'histoire d'Innocent montre comment les réfugiés peuvent contribuer à leurs communautés d'accueil de plusieurs façons", explique Julienne Oyler, présidente du CEA, à la BBC.

"Des camps comme celui de Kakuma sont tellement isolés que des entrepreneurs comme lui sont une bouée de sauvetage pour les biens et services de base à une époque où règnent les blocages et autres restrictions".

Une étude de la Banque mondiale de 2018 a identifié plus de 2 000 entreprises à Kakuma et a estimé qu'elles contribuaient avec plus de 26 milliards FCFA (50 millions de dollars) à l'économie locale chaque année.

"Les affaires dans ces communautés sont fascinantes. Les entrepreneurs comme Innocent finissent par créer des emplois pour les populations locales et par faire une différence en dehors de leurs camps", déclare Mme Oyler.

Michelle Richey, professeur de technologie et d'entreprenariat à l'université de Loughborough, spécialisée dans les entreprises commerciales pour les réfugiés, affirme que des gens comme Innocent jouent un rôle très important dans le changement de la perception générale des réfugiés.

"Le potentiel humain des réfugiés se manifeste lorsque nous leur donnons la possibilité de travailler au lieu de se concentrer uniquement sur les questions humanitaires", dit-elle.

"Nous pouvons aider ces personnes à reprendre un certain contrôle sur leur vie après tout ce qu'elles ont vécu".

La création d'une entreprise florissante n'est pas le seul changement dans la vie de Havyarimana depuis son arrivée à Kakuma ; en 2017, il a épousé Aline, une autre réfugiée burundaise qu'il a rencontrée au camp.

Ils ont deux garçons, et le plus jeune, Prince, est né fin novembre.

Havyarimana parle avec affection de la vie à Kakuma, mais il rêve d'être réinstallé en Australie ou au Canada.

"J'aime beaucoup Kakuma, mais je veux donner à ma femme et à mes enfants une vie meilleure", dit-il.

En attendant, Innocent s'efforce d'élargir ses moyens d'aider la communauté. En plus de proposer 21 sortes de savon et de produits de nettoyage, il a conçu un désinfectant pour les mains à base d'aloe vera cultivé dans un champ juste à l'extérieur de son atelier.

"Le coronavirus a touché le monde entier, mais pour nous, ici à Kakuma, il est encore plus important de se laver les mains autant que possible", dit-il.

Source:    www.bbc.com


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