Bénin/Décentralisation à l’ère de la rupture : jacobinisme, à tort ou à raison ?

Publié le 06/10/2020 | J&P

Bénin

Il n’est plus un secret pour personne que l’Etat central, depuis l’avènement du régime de la rupture, veut régenter _s’il ne l’a déjà fait_ l’administration publique locale. Indignés par ce piétinement des textes de lois sur la décentralisation, en l’occurrence le respect de l’autonomie de gestion des communes, les maires et les pourfendeurs de l’Etat central ont perdu leur latin face au diagnostic et aux résultats obtenus par le régime de la rupture, même si la thérapie est jugée centraliste.

• Foire de scandales dans les communes

• Thérapie de choc de l’Etat central avec à la clé des prouesses

• Silence coupable de l’Ancb et ses réseaux partenaires

• L’ultime solution pour la fin d’une décentralisation avec des « collectivités locales déconcentrées »

Ce dossier fait le décryptage d’une situation embarrassante tant pour les communes que pour l’Etat avec, au centre, la faitière des communes dont le silence est répréhensible. Cependant, éviter le bras de fer, redonner confiance à l’Etat central pour la restauration complète de la politique de décentralisation telle que pensée et écrite dans les textes de lois portant gestion des communes au Bénin, c’est l’ultime challenge des collectivités locales.

Comment se porte la décentralisation la décentralisation dans notre cher beau pays ? Difficile de répondre à cette question qui a tout l’air d’un piège ! Entre le piétinement des textes de lois sur la décentralisation (notamment les compétences des communes) et les résultats obtenus, les collectivités locales et l’Etat central sont à couteaux tirés. En effet, Patrice Talon alors candidat, s’est présenté comme un président réformateur. Elu en 2016, après quatre (4) années d’exercice du pouvoir au sommet de l’Etat, le chef du gouvernement béninois s’est plutôt illustré comme un révolutionnaire. Tout sinon presque, dans le secteur de la décentralisation, a connu un profond bouleversement, mettant à nu l’inefficacité des communes, à priori peu ambitieuses pour une véritable transformation des territoires. Cette réalité sera éteignée par l’enquête d’un confrère, dirigée par la Maison des médias du Bénin avec l’appui de Osiwa, dans le secteur de l’éducation. 

Source: VIF D'AFRIQUE

Une cascade de scandales qui discréditent les collectivités locales

Selon les investigations des confrères qui ont sillonné huit (8) écoles dans quatre (4) communes différentes, en ce qui concerne la gestion des fonds Fadec-infrastructure scolaires, le résultat a abouti à un thème formulé comme suit : « FaDec : l’école malade de la mauvaise gestion des subventions ». Vadim Quirin , journaliste au Quotidien « Nouvelle Expression » alerte : « Au niveau de nos communes, il y a des menaces sur la sécurité des infrastructures scolaires et leur durabilité : le gaspillage de deniers publics du fait de la dégradation précoce des infrastructures et ouvrages ; les risques de dépenses importantes de réparation ; le défaut de traçabilité et de transparence pour les marchés irrégulièrement attribués ; la non atteintes des objectifs ; la non réalisation des infrastructures et ouvrages à bonne date ; la non jouissance à temps par les populations des impacts bénéfiques des ressources investies… ». Les images collectées à propos donnent des frissons.

De même, Osiwa a financé plusieurs Organisations de la société civile dont Social Watch Bénin, à travers la mise en place d’une plateforme citoyenne de dénonciation des actes de corruption ou de malversations surtout dans le secteur de la passation des Marchés publics dans les communes. Les dénonciations enregistrées et vérifiées ont conduit à un rapport accablant. Vices de procédure, soupçons de corruption, marchés mal exécutés, procédures de contrat mal exécutées et des marchés abandonnés…c’est ce qu’il faut retenir de la conférence de presse présenté par Gustave Assah alors président de l’Ong Social Watch Bénin, le 26 Aout 2015. Sô- Ava, Porto Novo, Sinendé, Zogbodomey, Adjohoun, Adja Ouèrè, Aplahoué, Dogbo, Ifangni, Abomey, Bohicon et Cotonou figuraient sur la liste noire, au cœur de scandales les uns plus terribles que les autres.

Par ailleurs, le rapport d’audit de la gestion des Fonds Fadec 2015, ayant révélé de graves irrégularités, a conduit à la mise sur pied d’une commission d’enquête parlementaire. Là encore, c’est la catastrophe ! La commission d’enquête s’est appesantie sur la cohérence des prévisions des dépenses d’investissement et au contrôle de l’éligibilité des dépenses au Fadec. Elle notera des défaillances dans le respect de la procédure de passation des marchés publics, entre autres, le non respect des procédures administratives et réglementaires en matière de marchés publics, le manque de rigueur dans la tenue des dossiers et le classement des pièces administratives relatives aux marchés publics, l’utilisation inappropriée des fonds Fadec. La commission conclut sans ambages : « contournement ou non respect délibéré, par certains acteurs (des communes) des textes législatifs et réglementaires en vigueur au Bénin. » 

Du pain béni pour le gouvernement de la rupture

Fort de ce lugubre tableau qui jette du discrédit sur les gestionnaires des communes, Patrice talon applique une thérapie de choc. Pour lui, les maires ne sont pas des cancres. Ils ont peut être de l’ambition et de la volonté lesquelles demandent simplement à être conduites par une présence plus affirmée de l’Etat central. La machine démarre ! 22 Juin 2016 : désignation des chefs-lieux des douze (12) départements et installation des nouveaux préfets dans leurs fonctions. Le gouvernement de la rupture annonce les couleurs en se rapprochant plus des administrés : « …avec la création des six nouveaux chefs-lieux de départements, des six nouvelles préfectures, tous les services, tous les ministères sectoriels ont commencé par installer leur direction dans ces départements. » témoigne le ministre de la décentralisation et de la gouvernance locale, Alassane Séidou.

Ensuite le 29 août 2017, le ministre du Cadre de vie, José Tonato procède, avec les maires concernés, à la signature de la Convention-cadre de partenariat relative à la mise en œuvre du Projet Grand Nokoué. Cet accord, à en croire l’Etat, viendrait sceller la volonté effective des deux parties à  collaborer de manière efficace pour accélérer le processus de développement intégré de la métropole béninoise, et partant de là, de l'ensemble des communes du Bénin. Ainsi pour renforcer les capacités opérationnelles des communes, l'État béninois dit offrir un appui « inédit » aux communes principalement à Ouidah, Cotonou, Abomey-Calavi,  Sèmè-Kpodji et Porto-Novo à travers quatre (4) volets majeurs notamment la modernisation des marchés, l'asphaltage qui concerne la réhabilitation et l'extension de la voirie urbaine, la gestion des déchets solides et la mise en œuvre du Plan Directeur d'Assainissement.

Cependant, les stratagèmes pour dépouiller les communes de leurs compétences ne manquent pas. C’est Saka Bio Mamadou Yarou, Secrétaire exécutif de l’Adécob qui dresse la longue liste (non encore actualisée) des compétences retranchées aux communes. Il s’agit de la réalisation des ouvrages d’approvisionnement en eau potable : création d’une agence ; recrutement des agents communaux : loi sur la fonction publique ; une partie de la gestion foncière : code foncier et domanial ; gestion des zones synergétiques et des musées ; aménagement des pistes rurales (piste coton) ; gestion de certains centres de jeunes ; la construction des infrastructures scolaires (en vue) ; la taxe professionnelle unique : 50% pour les communes et 50% pour l’Etat ; l’exonération de l’imposition des installations des pylônes de GSM sur les territoires des communes : loi des finances ; produit de la taxe des infrastructures routières prélevée sur les engins à 4 roues ; fourniture et distribution de l’eau potable : Soneb ; la signature des marchés par la DCF : code des marchés publics.

Alassane Séidou entre consternation, justification et satisfécit de l’Etat

 « Le gouvernement a un objectif qu’il doit atteindre dans un temps donné. Et il a choisi le chemin le plus approprié pour atteindre cet objectif. (…) On n’a pas arraché aux communes la maîtrise d’ouvrage, mais l’exécution.  (Parce qu’)On est sûr qu’on ne pourra pas atteindre l’objectif, compte tenu de la contre-performance des Administrations communales » clame le ministre de la décentralisation, Alassane Séidou du haut de la tribune de la chaine nationale, l’occasion du bilan de  l’An 4 de gestion du régime de la rupture dans le secteur de la décentralisation.

Selon le ministre Alassane Séidou, la dotation (FaDeC) des communes en 2007 était à sept milliards « aujourd’hui nous sommes à quarante-sept milliards lorsqu’on prend en compte les trois FADeC. C’est-à-dire le FADeC investissement affecté qui passe par les ministères, le FADeC  investissement non affecté qui va directement aux communes et qui est utilisé pour l’exécution des plans de développement des communes et le FADeC  fonctionnement. » . Ainsi, poursuit il  « la plus petite commune du Bénin reçoit au moins quatre-cents millions (400.000 000) de Fcfa par an de l’Etat,  lorsqu’on considère le FADeC investissement non affecté et le FADeC fonctionnement ; sans considérer le FADeC qui passe par les ministères sectoriels où la plus petite commune reçoit au moins deux-cents cinquante millions ».

Toutefois, ces ressources financières font objet d’un contrôle rigoureux : « nous avons intensifié les audits ces dernières années de manière systématique. On fait des audits dans les communes et ces audits sont réalisés par l’IGA (Inspection Générale des affaires Administratives) et l’Inspection Générale des Finances. Nous faisons aussi des contrôles techniques externes. » rassure Alassane Séidou. Dès lors « une chose est sûre, quand il y a malversation, les ressources doivent être remboursées. C’est une exigence et c’est pour cela que nous agissons beaucoup en amont pour dissuader et éviter que cela se passe. Mais quand ça se passe, les ressources doivent être remboursées. Il n’y a rien à faire, sinon on coupe. On n’envoie plus les fonds FADeC » martèle – il.

Source: VIF D'AFRIQUE

A ce titre, le gouvernement reçoit une rose des partenaires techniques et financiers (Ptfs) : « Ils nous font des confidences ! Dans la sous-région, presque tous les pays sont engagés dans la dynamique de la Décentralisation et de la Déconcentration. Aucun pays n’est à notre niveau de financement des communes. Aucun ! Il y a des pays qui, à ce jour encore, n’envoient pas plus de vingt-cinq millions dans les communes par an. » se flatte Alassane Séidou. Un constat quand même curieux pour l’ancien maire de Kandi : « Il y a des communes qui ont encore plus de quatre-cents millions qui attendent, qui ne sont pas consommés. Pourquoi ? Parce que les administrations communales ne fonctionnent pas bien. Ces communes n’ont pas toutes les compétences qu’il faut pour monter les projets, pour faire respecter les procédures ». Il s’en indigne : « Et là où c’est paradoxal, ce sont les communes qui ont le plus besoin de ressources qui ne consomment pas malheureusement. Et c’est pour cela qu’au cours de notre tournée, nous avons mis l’accent sur la qualité du personnel qui anime l’administration communale. »

Le silence coupable de l’Ancb et ses réseaux partenaires

L’indolence de l’Association nationale des communes du Bénin, face à l’accaparement de ses compétences par l’Etat, a encouragé la mise en place d’une administration locale complètement régentée ; en même temps que cette situations a révélé l’inefficacité de cette institution progressivement réduite à un machin.

L’Ancb, un lobby sensé défendre les intérêts des communes, n’a jusque là entrepris aucune action forte pour dissuader le gouvernement qui a progressivement créé  des « Collectivités locales déconcentrées ». Pourtant cette association a en son sein une section (dynamique et loquace) chargée des plaidoyers.

En effet, de 2015 à 2020 quelques actions de plaidoyers ont été menées par l’Ancb notamment le transfert de ressources suffisantes aux communes (transfert 15%) ; relecture du code foncier et domanial ; levée de la suspension des recrutements par les communes ; relecture de la politique nationale de décentralisation et de déconcentration ; réforme de l’éclairage public au Bénin ; loi sur l’hygiène et l’assainissement de base en République du Bénin ; dématérialisation des opérations au niveau des communes. Plusieurs acquis dont l’impact n’est pas flatteur. D’ailleurs la faitière des communes se refuse de trainer l’Etat central devant le juge de la chambre administrative de la cour suprême. Simple allégeance ou culpabilité tétanisante ? 

Mieux, cette institution s’est dégotée de bons partenaires notamment un réseau de parlementaires répondants des communes à l’Assemblée nationale, un réseau d’Experts et de journalistes spécialisés dans les questions de la décentralisation, plusieurs Organisations de la société civile engagée dans la gouvernance locale, les universitaires et autres…qui ne proposent pas de façon affichée une meilleure alternative à celle de l’Etat.  En réalité, il s’agit d’un manque de synergie entre les différents réseaux mais aussi et surtout d’un manque de volonté politique des élus représentés à l’Ancb.

Il urge que la faitière des communes et ses partenaires remettent  l’Etat central en confiance  par des propositions persuasives et pratiques. De toutes les façons, le gouvernement Talon a montré la voie par la création de projets structurants ainsi que la mutualisation des efforts entre les communes, faisant ainsi la promotion d’une économie d’échelle. Les résultats sont là et plaident à la faveur de l’Etat central: construction d’infrastructures sociocommunautaires (eau et ouvrages d’assainissement, asphaltage, électrification rurale, stades communaux, marchés modernes, etc…). L’Ancb et les communes doivent en prendre de la graine en attendant un retour au respect des  textes de lois sur la Décentralisation au Bénin, dans sa lettre et dans son esprit.

Retenons qu’i n’a pas l’ombre d’un seul doute que le gouvernement de la rupture veut réellement impacter la vie des populations béninoises. Dès lors, rien n’est assez fort pour faire barrage à cette ambition, même pas les lois sur la décentralisation : autonomie financière et de gestion, personnalité juridique, Patrice Talon s’en essuie les popotins. Il revient aux communes portées par un vif désir de la transformation de leurs territoires, par l’entremise de l’Ancb et ses réseaux partenaires avec l’appui des Ptfs, de prendre l’Etat aux mots. Dynamisme, transparence, rigueur, génie, audace et ambition dans la gouvernance locale, ce sont les clés pour réussir cet exploit, languissement des populations pourtant si peu exigeante.    

Dossier réalisé par Irédé David R. KABA

J&P


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