VILLE ET CLIMAT, DES PISTES POUR UN NOUVEAU MODÈLE URBAIN

Publié le 23/03/2020 | La rédaction

Pour accompagner la transition de nos sociétés vers des modes de vie plus résilients face au changement climatique, l’organisation et la gestion des villes, leurs capacités à accéder à des ressources financières et à imaginer de nouveaux modèles urbains durables seront déterminants.

Cinq années après l’adoption des 17 Objectifs de développement durable (ODD), dont l’objectif n° 11, « Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables », le fait urbain devient progressivement et intimement associé aux objectifs d’adaptation et d’atténuation au changement climatique. Les villes concentrent en effet les plus grands enjeux reliés au défi climatique :

  • elles accueillent une part croissante de la population mondiale : 4,2 milliards d’urbains aujourd’hui et 6,7 milliards à l’horizon 2050, ce qui correspond à un taux d’urbanisation proche de 70 %. Déclinées par grande région, ces évolutions mettent en évidence que les plus fortes croissances de populations sont attendues dans les villes situées dans les zones les plus défavorisées, notamment sur le continent africain. Avec un taux d’urbanisation de 4 % par an, 60 % d’Africains vivront en ville à l’horizon 2050 (contre près de 40 % aujourd’hui), représentant 1,2 milliard d’urbains (contre 400 millions aujourd’hui) ;
  • près de 1,5 milliard d’urbains seront situés dans une zone à risques (cyclones, tremblements de terre, etc.) en 2050 (contre moins de 700 millions en 2000) ;
  • les villes contribuent à hauteur de 70 % aux émissions totales de gaz à effet de serre et consomment 70 % de la production énergétique mondiale.

Aussi, les choix d’organisation et de gestion des villes, leurs capacités à accéder à des ressources financières et surtout leur capacité à imaginer de nouveaux modèles urbains durables seront déterminants pour accompagner la transition de nos sociétés vers des modes de vie plus résilients au changement climatique.

Les solutions de demain émergent à l’échelon local

L’association entre la qualité de la gestion de la ville et les enjeux climatiques n’est pas nouvelle. À l’appui d’un processus de décentralisation des compétences, de nombreuses métropoles et villes de taille intermédiaire ont développé, au cours de ces vingt dernières années, des agendas 21, des plans climat territoriaux ambitieux et même, pour la France en particulier, des contrats de transition écologique.

Pour porter en commun des objectifs de réduction des gaz à effet de serre (GES) plus élevés que les engagements de leurs États, des coalitions internationales se sont formées. Il s’agit de formidables plateformes de partage d’expériences, notamment International Council for Local Environmental Initiatives, C40, Climate Chance, Cities Climate Finance Leadership Alliance.

Que ce soit dans les pays au nord ou au sud de l’équateur, c’est désormais au niveau local que se perçoivent les enjeux et se créent les solutions de demain : les villes sont l’acteur principal de ce changement, à la fois par leurs capacités d’action sur leurs territoires mais également par les liens d’équilibre et de gains réciproques qu’elles sauront construire avec les territoires ruraux environnants, à l’exemple des « contrats de réciprocité ville-campagne », développés en France entre les métropoles et les territoires ruraux dans les domaines du tourisme, de l’action économique (filières, implantation d’entreprises), de l’alimentation (circuits courts), de la mobilité (covoiturage), de l’approvisionnement énergétique, de l’environnement, du traitement des déchets, de l’emploi (coworking et télétravail) et de la santé.

L’émergence de ce nouveau modèle urbain est déjà en cours dans de nombreuses régions du monde. Au-delà des plans climat territoriaux, des agendas 2030 sont adoptés dans des villes pionnières. Notamment , dont le principal objectif est d’identifier et de promouvoir des méthodes reproductibles de suivi des ODD au niveau infranational qui facilitent l’action locale. Il est mis en œuvre aux États-Unis (à New York, Baltimore, San José), à Bristol (Angleterre), au sein des grandes métropoles brésiliennes (Belo Horizonte), en Inde (ville de Patiala au Pendjab), à Aruba (comme illustration des petits pays insulaires). Ces agendas sont autant de sources d’inspiration en Europe, en Asie et dans les collectivités des pays les plus développés du continent africain. Le nouveau modèle repose sur une prise de conscience et une exigence citoyenne : parce qu’il dépasse la durée d’un mandat municipal, l’agenda 2030 constitue une feuille de route contractualisée entre les représentants politiques locaux et les citoyens.

Au sein de ces agendas, la dimension climat est essentielle et conduit à rénover en profondeur les outils de la planification urbaine. La sobriété carbone, la gestion du risque (à l’exemple des zones côtières), la mesure de l’empreinte écologique, l’intégration de solutions fondées sur la nature, la réduction de l’impact environnemental et la réintroduction de la biodiversité en ville deviennent les critères de décision des gouvernants locaux.

L’enjeu crucial du financement des villes

Mais une telle ambition est-elle soutenable ? Si les villes des pays du Nord disposent de ressources financières suffisantes (notamment parce qu’elles ont accès à l’emprunt), de nombreuses villes du Sud font face à des capacités limitées, même quand la décentralisation se situe à un stade avancé. La question du financement des villes est essentielle. Elle ne peut se résumer à la question du volume des financements accessibles. Le financement du nouveau modèle urbain, en première ligne face aux enjeux du dérèglement climatique, est également l’occasion de refonder les modèles de décentralisation financière et, plus globalement, de l’accès aux ressources financières. Plusieurs pistes peuvent être proposées :

  • prendre en compte des enjeux climat dans la détermination des dotations de l’État aux collectivités locales : chaque ville pourrait bénéficier d’une dotation de son gouvernement central à la mesure de sa contribution à l’atteinte des objectifs nationaux de réduction des GES (les « contributions déterminées au niveau national »), au regard de sa population, des risques de catastrophes à prévenir et gérer, et des caractéristiques de son développement (pauvreté, croissance urbaine, état des infrastructures…) ;
  • développement (pauvreté, croissance urbaine, état des infrastructures…) ; décentraliser l’essentiel des outils de la fiscalité verte à l’échelon local dans les secteurs des transports locaux, de la consommation des ressources naturelles, des infrastructures énergétiques locales, de la transition énergétique des bâtiments publics ;
  • élaborer une méthodologie partagée pour l’élaboration et le suivi des budgets locaux, comportant des qualifications climat pour chaque programme d’investissement (déclinaison territoriale de l’approche « Green Budgeting », aujourd’hui expérimentée pour les États). Ainsi, dans un même pays, les collectivités locales pourraient planifier, mettre en œuvre et évaluer leurs actions pour le climat, en coopération au sein d’un réseau international de collectivités. L’objectif serait de mobiliser des financements externes publics et privés de long terme affectés à la réalisation de ces actions : la conjugaison de la soutenabilité financière et la capacité démontrée de réalisation, par la collectivité locale, des actions en faveur de l’adaptation et de l’atténuation climat deviendrait le critère de décision des financeurs ou des investisseurs ;
  •  
  • créer des fonds de garantie permettant d’inciter les banques locales publiques ou privées à prêter à des villes ou des regroupements de villes engagées dans des plans d’actions climat ambitieux. Les ressources de ces fonds pourraient provenir des acteurs engagés pour le climat au sein de la communauté internationale (institutions financières nationales, régionales ou internationales de développement, fondations). L’objectif serait de démontrer, dans le temps, la rentabilité globale des projets financés, intégrant notamment la dimension des coûts environnementaux évités et la protection des populations face aux risques.

Faire des villes les acteurs centraux de la transition : un changement de paradigme s’impose
 

La mise en œuvre de ces pistes de transformation impose un véritable changement de paradigme, pour les villes, les États et la communauté internationale. Il n’est jamais aisé de redéfinir dans un temps court des schémas construits sur d’autres modes d’appréhension de l’économie et de l’environnement : considérer les villes comme les acteurs centraux de la transition climat imposera de bouleverser les modes d’allocations budgétaires, de modifier les modes d’analyse économique et financière. Et surtout d’accepter de partager des compétences et des responsabilités pour atteindre des objectifs communs.

Mais la lutte contre le dérèglement climatique impose d’agir vite car l’exigence citoyenne est déjà là ; elle attend des décisions et des actions à l’échelon le plus proche de son lieu de vie. Saurons-nous accompagner ce changement de paradigme ?

 

Source: ideas4development.org


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