La Réunion en quête de diplomatie

Publié le 21/03/2018 | La rédaction

Réunion

GÉOPOLITIQUE. En rupture avec la tradition centralisatrice de la France, avec une vision des relations internationales qui fait de ce domaine le pré carré du Président de la République, le mouvement de décentralisation qui a donné de l'autonomie aux collectivités territoriales, place ces dernières devant des responsabilités et compétences - dans lesquelles tout n'est certes pas à réinventer - dont l'exercice s'avère plus compliqué qu'il y paraît. Quid de La Réunion, département français, région européenne ultrapériphérique, pays riverain de l'océan Indien dans ses relations avec les États voisins, dans le sud-ouest de l'océan Indien et au-delà ?

gopalsinghLes autorités de La Réunion (État et collectivités) déploient une politique extérieure de droit avec les transferts de compétences de la décentralisation. Bras armé de leur marketing international, la diplomatie des îles de l'océan Indien a assuré des relais de croissance pour leurs industries (Maurice, les Seychelles, Madagascar) et à leurs populations vers des puissances qui leur assurent maintenant des débouchés économiques (pays du Golfe, Afrique du Sud, Inde, Chine…). Qu'en est-il pour La Réunion ?

Alors que la France encourage fortement ses territoires ultramarins à développer des actions internationales dans la limite de leurs compétences au travers d'outils de "diplomatie territoriale", La Réunion s'y met difficilement. Partagées entre tropisme parisien et volontés émancipatrices, nos élites développent un discours "coopérationniste" dont les actes et objectifs stratégiques ont du mal à être appréhendés. Faute de stratégie claire et de coordination… L'affirmation du rôle de la Région Réunion comme chef de file de l'action internationale s'est progressivement installée avec feu Pierre Lagourgue, cristallisée avec l'accession de l'internationaliste feu Paul Vergès à la pyramide inversée en 1998 et consolidée avec la fraîcheur de Didier Robert depuis 2010. Le leader anticolonialiste Paul Vergès, fort de ses réseaux internationaux hérités des mouvements de Libération, a baptisé de son empreinte le rôle international de la Région par des accords formels bilatéraux autorisés par les transferts de compétences internationales (Loi d'orientation de 2000) avec l'Inde, la Chine, l'Afrique du Sud, le Mozambique et toutes les îles des Mascareignes.

Développer des projets communs avec les États voisins

L'arrivée de Didier Robert en 2010 a consolidé ce rôle, en pleine crise économique mondiale (2008) et en parallèle à l'émergence économique des États riverains de la zone (dont l'île Maurice ou encore les émergents des BRICS : l'Afrique du Sud, l'Inde et la Chine). Le renforcement par M. Robert des liens avec les Seychelles, Madagascar, la Chine, le Mozambique a structuré et consolidé le discours "coopérationniste" des élus réunionnais tous bords politiques confondus. Un axe politique qui fait maintenant partie des sept piliers de la mandature actuelle. De même, l'augmentation substantielle des crédits INTERREG1 (passés de 35 à 63 millions d'euros), assure à la Région, autorité de gestion, le "chéquier" pour pouvoir développer des projets communs avec les États voisins. Cependant, ce discours politique unanimiste reste confronté à deux tendances lourdes : la lourdeur administrative de la gouvernance des relations extérieures de l'île (éparpillement de la compétence entre Région, conseil départemental, État, communes) et aux freins intrinsèquement liés au système intégrationniste (faiblesse des réseaux et relations politiques internationales des décideurs politiques, ressources administratives non rompues aux affaires internationales). 

coopération seychalles-réunion

Un observateur aguerri de la vie politique réunionnaise sous forme de boutade commentait la situation : "À l'international on a donné la possibilité aux élus réunionnais de conduire une Ferrari mais ils préfèrent rouler dans une 2CV bien française…". Au cours de ces quinze dernières années, les collectivités de La Réunion, et en particulier le Département et la Région, ont vu leurs prérogatives en matière d'action extérieure s'accroître au fil des évolutions législatives et réglementaires. Ces évolutions, qui ont été souhaitées pour permettre aux collectivités de renforcer leurs relations avec les pays et les organisations de leur environnement régional, conduisent aujourd'hui La Réunion à valoriser son potentiel dans de nombreux domaines : systèmes de production, dispositifs de formation, infrastructures, recherche scientifique, protection de l'environnement, gestion des déchets etc.

Les outils juridiques dont disposent les collectivités de La Réunion en matière d'action extérieure sont à la fois communs à l'ensemble des collectivités françaises - dispositions concernant la coopération décentralisée, reconnues par la loi n°92-125 du 6 février 1992, qui ont laissé progressivement la place à la notion plus large d'action extérieure des collectivités territoriales - et spécifiques aux régions d'Outre-mer - dispositions issues de la loi n°2000-1207 du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer (LOOM) et qui se sont depuis lors renforcées. La France/Réunion n'est membre à part entière que de la COI…

Il s'agit pour l'ensemble des collectivités de pouvoir passer des conventions avec des autorités locales étrangères et, dans certains cas prévus par la loi, avec des États étrangers (loi Letchimy du 5 décembre 2016 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional). Par ailleurs, et depuis la loi d'orientation pour l'outre-mer de 2000 (LOOM), la Région et le Département se sont vus reconnaître des compétences élargies en matière d'action internationale, dans le respect des engagements internationaux de la France et dans le respect des exigences de la Constitution et du droit international public, notamment :

  • La possibilité de négocier et de signer des accords au nom du gouvernement français avec un ou plusieurs États de la zone de l'océan Indien ;
  • La possibilité de représenter la France au sein des organismes régionaux ;
  • La faculté d'adhérer en leur nom propre, avec l'accord des autorités de la République, à des organismes régionaux en tant que membre associé ou observateur ;
  • La possibilité d'affecter des agents chargés de représenter ces collectivités au sein de nos missions diplomatiques de la zone (loi du 27 juillet 2011) ;
  • La possibilité de mener des coopérations dans un champ géographique étendu désormais à toute l’Afrique, et pas limité au seul océan Indien ;
  • La faculté, dans certains cas, d'adhérer à des banques régionales de développement et de participer à leur capital ;
  • La possibilité d'élaborer un programme-cadre de coopération régionale qui précise la nature, l’objet et la portée des engagements internationaux que nos collectivités se proposent de négocier avec un ou plusieurs États, territoires ou organismes régionaux.

Cependant, les instruments mis à disposition de ces collectivités sont rarement voire pas du tout mis en œuvre. De toutes ses possibilités, la LOOM dans son volet de signature d'accords diplomatiques entre collectivités et États souverains n'a jamais été actionnée depuis 2010. Il en est de même concernant les demandes d'adhésion à des organisations régionales et internationales (La France/Réunion n'est membre à part entière que de la COI). Encore le néant concernant la possibilité qui leur est offerte de nommer leurs agents auprès des ambassades avec un statut et passeport diplomatiques (fait unique dans la fonction publique territoriale). Cette disposition a été largement utilisée par les Antillais mais ignorée totalement par la Région et le Département à La Réunion.

L'orientation privilégiée par la Région Réunion (sans parler du Département qui dispose au demeurant des mêmes possibilités juridiques que la Région mais qui privilégie des dispositifs d'insertion professionnelle à l'international) est la pleine utilisation des crédits INTERREG et la conclusion de convention dans ce cadre, uniquement. Sauf que ces conclusions d'accords patinent. Un couac diplomatique a eu lieu avec l'Afrique du Sud qui a signifié à la pyramide inversée une fin de non-recevoir via l'ambassade de France à Johannesburg. La raison officielle est qu'elle ne négociait pas en direct avec une entité régionale mais uniquement avec des États. La raison officieuse de ce refus est à mettre au compteur de la représentation négative de Pretoria au sujet des rapports complexes qu'entretient la France avec l'Afrique… Un deuxième couac et non des moindres a eu lieu avec le recadrage du Quai d'Orsay au sujet de la Convention signée avec la République de Maurice (octobre 2016) dans laquelle la revendication de Maurice sur Tromelin fut sacrifiée sur l'hôtel d'Interreg. Maurice profitant de la brèche pour avancer sur ce contentieux sensible.

France OI

"Faire de la diplomatie sans le savoir..."

...mais non sans peine et difficultés comme évoqué. Répondant à une interrogation d'un haut fonctionnaire diplomatique d'un État de la zone venu participer à une conférence à La Réunion, un de ses homologues en poste dans une collectivité reconnaissait humblement qu'il n'était pas formé à cela : "Je ne suis pas formé à cela Monsieur… c'est le travail des diplomates, je n'en suis pas un." Comme M. Jourdain dans le "Bourgeois Gentilhomme" qui faisait de la prose sans le savoir, les collectivités réunionnaises font de la diplomatie sans le savoir Une situation qui risque de fragiliser les engagements financiers auprès de l'Union européenne car celle-ci exige l'approbation des États parties prenantes au programme INTERREG. En effet au 1er janvier de cette année 2018, seul 3 % des crédits ont été consommés et 20 % signés. À deux ans de la fin de la programmation, des inquiétudes légitimes sont à relever sur le dégagement d'office de ces crédits (leur retour vers Bruxelles pour non-utilisation) et leur baisse.

À ce jour seuls Madagascar, les Comores, Maurice et les Seychelles ont approuvé ou sont en cours de formalisation. Aucun retour ni confirmation pour les pays africains et asiatiques (Afrique du Sud, Mozambique, Kenya, Tanzanie, Inde, sans parler des Maldives ou de l'Australie). Les contraintes de la complexification des montages de dossiers de subvention européens suffisent-elles à expliquer à elles seules les difficultés de consommation de ces crédits ? Un début de réponse se trouve dans les conflits relationnels feutrés qui opposent l'État français aux élus et fonctionnaires réunionnais.

Définir une stratégie, une realpolitik réunionnaise

Après les problèmes rencontrés avec l'Afrique du Sud et Maurice, le préfet de La Réunion appelle à une plus grande concertation avec ses services chargés des questions diplomatiques : "L’ouverture et la coopération régionale sont fondamentales pour le développement de nos territoires. Et celles-ci ne peuvent être mises en œuvre que par une étroite coordination de l’ensemble des acteurs pour crédibiliser nos initiatives, les structurer et leur permettre d’être efficaces" a-t-il expliqué lors d'un discours à la Région Réunion. Se faisant lui diplomate, il parle des difficultés de compréhension du programme Interreg auprès des États dont "l’intérêt même n’est pas immédiatement évident pour les pays plus éloignés non rompus à la coopération avec La Réunion."

Cependant alerte-t-il, "développer l’attractivité du programme pour ces États nécessite une action parfaitement définie et coordonnée entre l’ensemble des acteurs, comme le rappelle d’ailleurs le cadre légal." Et il rappelle que "les services de la préfecture de La Réunion se tiennent ainsi à la disposition de l’autorité de gestion pour se coordonner avec les ambassades concernées sur les stratégies d’action" a déclaré Amaury de Saint-Quentin sous forme d'appel insistant.  Un diplomate éminent d'un pays de la zone faisait remarquer que La Réunion possède maintenant des capacités d'action mais qu'un minimum de règles protocolaires doit être mis en œuvre. C'est tout l'enjeu auquel nos collectivités sont confrontées. Voulant s'émanciper et s'ouvrir à l'international, celles-ci se cherchent une voie diplomatique. Mais encore faut-il définir une stratégie, une realpolitik réunionnaise. Car à défaut c'est la position de La Réunion et de la France qui se retrouveront ridiculisées dans le voisinage…

Source: www.clicanoo.re


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