Élection communale en Guinée : quels défis pour le développement local ?

Publié le 16/02/2018 | La rédaction

Guinée

Nous ne devons pas ignorer l’objectif de cette élection qui est le développement local à partir de la base en complément au programme national de développement défendu par notre pays.

vote en guineeLes élections locales sont une stratégie de développement, pas une bataille politique stérile. Nous souhaitons une cohésion nationale et non un désordre stérile. C’est une occasion pour les populations de débattre, d’échanger sur les projets défendus par les différents candidats et non une bataille ethnique. L’impact de cette élection tant attendue par la Guinée et ses partenaires techniques et financiers est d’inscrire la Guinée sur la liste des pays à stabilité politique après les élections présidentielles et législatives que nous avons organisées. Nous attendons de cette élection la confirmation de l’image de la Guinée comme un pays où la démocratie est garantie et le climat des affaires sera attrayant. Nous avons tous un intérêt commun au respect permanent du processus électoral prévu par notre Constitution.

Sur le plan de la régularité de cette élection, nous aurons pour la première fois, depuis la mise en place d’une nouvelle Constitution en 2010, un mécanisme réel du contentieux de l’élection communale prévu par le code électoral et les autres lois de la République. Il y a donc de fortes probabilités d’avoir le nombre le pus élevé de contentieux dans cette élection que les autres élections nationales au vu du nombre de candidats et de circonscriptions électorales. C’est pour cela que nous invitons les candidats à faire confiance à la justice de notre pays en privilégiant les voies de recours légales devant les cours et tribunaux de notre pays, qui ont déjà une expérience du contentieux électoral. Cependant, le fait que le code électoral attribue exclusivement compétence aux tribunaux de première instance de connaître du contentieux sans prévoir la voie d’appel devant une juridiction supérieure reste contestable. De même, il est regrettable de constater qu’en vertu de cette même loi (article 114 du code électoral), les résultats définitifs de l’élection communale sont proclamés par la Commission électorale nationale indépendante, qui est une autorité administrative indépendante. En effet, la proclamation des résultats définitifs de l’élection est, dans tous les pays, l’une des attributions normales des juridictions. Cette disposition de notre code électoral révisé mérite d’être amendée pour le mettre en conformité avec la pratique généralement admise en la matière.

Nous avons des défis à relever pour la modernisation de la décentralisation guinéenne. Nos communes n’arrivent pas à récupérer les impôts locaux. Sans les contributions locales, notre décentralisation vit toujours aux dépens des subventions de l’État alors que nous avons tout un dispositif permettant aux élus locaux d’avoir une autonomie financière. Nous devons encore doubler d’efforts pour faire de la libre administration des collectivités décentralisées un principe constitutionnel respecté dans notre pays. Cette élection est aussi l’occasion de lancer un appel au Gouvernement d’appuyer techniquement les communes guinéennes dans la mise en place des cellules d’adressage prévues dans la loi de décentralisation comme un moyen de donner une adresse à tous les contribuables de la commune. Car, il n’y a pas de contribuable sans adressage. C’est le seul moyen de mobiliser les ressources locales au niveau des collectivités décentralisées.

Notre coopération décentralisée est l’une des plus faibles de la sous-région. Cette élection doit être l’occasion de donner la légitimité à nos élus locaux pour travailler en symbiose avec leurs homologues des communes des pays amis.

L’intercommunalité n’a, pour l’instant, pas beaucoup d’effets aux yeux de nos compatriotes. Et pourtant, la pression démographique urbaine actuelle oblige les Guinéens à une grande demande de logements et aux communes à lotir de plus en plus d’espaces. Il en résulte que nous sommes dans un phénomène galopant d’intercommunalité qui rapproche les problèmes de nos communes, comme l’assainissement, les transports, et qui demandent aux communes soit d’associer leurs moyens, soit de fusionner leurs territoires.

Manifestement, notre fonction publique locale a besoin du renforcement des capacités et d’un personnel qualifié pour amener nos communes au développement. Le plan de carrière du fonctionnaire local doit être adapté au type d’engagement des collectivités locales. Notre Constitution a mis en place des institutions collectives permettant de manager notre décentralisation. C’est le cas, notamment, du Haut Conseil des collectivités locales (HCCL), des institutions d’appui à la démocratie et de toutes les autres institutions qui interviennent dans le scrutin local, qui sont, entre autres la Commission électorale nationale indépendante (CENI), la Haute autorité de la Communication (HAC), l’Institution nationale indépendante des droits humains (INIDH).

Aujourd’hui, la protection des biens et des personnes reste une mission nationale. Nous savons que notre police et notre gendarmerie ne peuvent pas régler tous les problèmes liés à la sécurisation des populations communales. La police communale existe déjà dans les textes et dans la pratique. Mais, ses moyens d’action et ses compétences sont limitées. Les acteurs politiques doivent s’intéresser particulièrement à cette institution communale qui a été créée pendant la seconde guerre mondiale, précisément sous le régime de Vichy, pendant que nous étions une colonie française. ​

Dans le cadre du domaine public des collectivités décentralisées, la compétence des élus locaux se pose. Le domaine public est constitué d’espaces réservés à la police et à la gestion communales. La commune ne peut pas exister sans domaine public communal à moins d’avoir une décentralisation fictive. Si elle existe en droit, la base territoriale de la commune manque en fait. Les élus locaux ne peuvent se priver de leurs domaines sans se priver des ressources publiques. Nous devons faire un forum national axé sur le financement de la décentralisation à l’effet de constater que les communes ont des ressources qu’elles ignorent ou négligent. Nos structures ignorent leur capacité de mobilisation des recettes fiscales. Les élus doivent avoir les moyens de se payer l’expertise ou se la partager pour réduire le coût. Mais le problème en Guinée, comme dans la plupart des États d’Afrique, est que les autorités n’arrivent pas à se servir de l’expertise par manque de moyens. Malheureusement, l’élection dans les communes ne peut pas donner de la compétence. Le problème du domaine public local est un exemple de cas de mobilisation de recettes négligées par les communes.

La Guinée a opté pour une seule régulation. L’autorité de régulation des marchés publics (ARMP) est une autorité nationale aussi bien pour les communes que pour l’État. Alors que l’État et les communes ont tous leurs biens ou leurs domaines. Si les communes ont leurs domaines, elles peuvent avoir une politique d’infrastructures communales décentralisées.

Sur les finances publiques, il manque dans la Constitution de notre pays un cadre de partage clair des ressources entre les collectivités décentralisées et l’État. A titre d’exemple, en République démocratique du Congo (RDC), la Constitution prévoit un partage des ressources budgétaires entre les vingt-quatre (24) provinces et l’État sur un seuil de 40% pour les provinces. Lors de la loi de finances, les ressources sont partagées à la base.

Quant au plan local d’urbanisme, la gestion du sol par les communes et leur participation à l’aménagement du territoire sont inefficaces. Ces problèmes souffrent des mêmes difficultés que le partage du domaine public c’est-à-dire l’ignorance des collectivités décentralisées de leurs pouvoirs. Bien au contraire, le désordre foncier actuel trouve sa source dans la primauté de la propriété coutumière sur la propriété communale ou locale. Dans la bataille du titre foncier, l’État s’est compliqué la tache en laissant les coutumiers à la place qu’ils occupaient avant la colonisation. Malgré la création récente des collectivités décentralisées, dans les années 1980, ainsi que leurs domaines, le pouvoir coutumier résiste à tous les textes sur le foncier dans notre pays. D’où la précarité du titre foncier en République de Guinée. Les communes ont toutes des conditions foncières légales pour développer une politique sociale au profit des populations locales. La part réservée aux communes dans la politique de l’habitat devrait normalement retrouver sa place avec la légitimation des élus locaux et la fin des délégations spéciales.

Tout le problème de l’éducation se pose aujourd’hui à deux niveaux : le transport scolaire et la couverture scolaire. Il serait, en conséquence, judicieux de développer une politique de répartition équitable des écoles entre les communes. Sans cette politique, l’école fait pression sur le transport communal. Une bonne gouvernance de l’éducation communale devrait, à termes, aboutir à une carte scolaire nationale obligatoire, qui interdit aux enfants de la maternelle et du primaire d’étudier en dehors du territoire de la commune de leur résidence. Cette politique est aussi une aide, notamment, à la sécurité scolaire. A Dubréka, par exemple, des écoles privées disposent d’un transport de bus scolaire. Cela est un exemple de réussite du transport scolaire. Si dans les communes rurales il faut des bus scolaires à cause des longs espaces à parcourir par les élèves, les communes urbaines devraient promouvoir l’inscription de tous les élèves dans le périmètre de leurs résidences familiales.

Sur le plan de l’aide à l’enfance, à la mère et à la famille, toutes les initiatives locales sont à prendre. Si les institutions d’aide sociale au niveau national ne fonctionnent pas, l’État peut encourager les nouvelles initiatives de microcrédits au profit des femmes, notamment les mutuelles financières des femmes africaines (MUFFA.) Ces mutuelles permettent de donner des crédits aux femmes en vue de développer des actions rémunératrices dans l’optique de rétablir l’autorité parentale sur les jeunes. Les communes doivent développer des directions de services techniques pour piloter de manière professionnelle la gestion communale.

En Guinée, les voiries sont des domaines communaux pilotés par l’État en violation flagrante des règles de la décentralisation. Le Fonds routier reste un organisme national. Nous devons trouver les moyens humains, matériels, financiers et techniques pour orienter les ressources vers les communes.

Le Journal officiel (JO) de notre pays mérite des appuis techniques et financiers. La diffusion des communiqués par voie radiophonique ou télévisée ne constitue pas un moyen de publicité des décisions de l’État. Selon la jurisprudence, et dans l’intérêt de la démocratie et contre la manipulation des médias, les communes comme l’État doivent avoir accès soit au Journal officiel, soit à la presse écrite de leurs ressorts respectifs. Une commune ne doit pas publier une décision communale dans un journal national. La pluralité des médias est un objectif à valeur constitutionnelle dans notre pays pour respecter la liberté. Aucune politique, pour l’instant, n’encourage la création de la presse écrite au niveau local ou communal. Or, les médias locaux sont, normalement, les seuls cadres de publicité des décisions de la commune.

En conclusion, la décentralisation dans notre pays est un grand chantier. La Guinée devrait réévaluer sa politique de décentralisation pour qu’elle ne soit pas une simple formalité mais une stratégie de développement local. J’émets le souhait que les débats sur cette élection soient porteurs d’idées, et les réflexions qui en résulteront servent de recommandations à tous les acteurs constitutionnels, civils et politiques de la Guinée pour qualifier la décentralisation dans notre pays.

Source: guineenews.org


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