Le défi de l’électrification de l’Afrique par le solaire

Publié le 09/08/2017 | La rédaction

Un Africain sur deux n’a pas accès à l’électricité. L’enjeu est de taille pour un continent dont la population croît de 5 % par an. Énergies renouvelables et mini-réseaux sont des pistes prometteuses, pour l’heure insuffisantes.

Près de 621 millions de personnes, soit un Africain sur deux, ne bénéficient pas d’électricité. En 2015, l’Organisation des Nations unies (ONU) a adopté 17 objectifs de développement durable visant à garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes à un coût abordable d’ici à 2030. L’Afrique est au cœur du projet onusien.

En 2015, lors de la conférence annuelle Energy Indaba, la Banque mondiale attestait des progrès de l’Afrique en matière d’électrification, mais ceux-là sont modestes : « L’électrification avance, mais doucement et de façon très contrastée sur le continent, voire à l’intérieur même des pays »,explique Thierry Barbaut, rédacteur en chef d’Énergies renouvelables en Afrique. Alors que le Nord est à 99 % électrifié, l’Afrique subsaharienne affiche un taux de 43 %. Selon l’Africa Progress Panel, groupe mobilisé en faveur d’un développement équitable et durable de l’électricité en Afrique, le rythme du développement électrique n’a pas suivi celui de la croissance démographique, qui est de 5 % par an.

Son rapport de 2017, Lumière, puissance, action : Électrifier l’Afrique, propose des pistes concrètes, comme de développer le « hors réseau » et les mini-réseaux. Parmi les 315 millions d’Africains qui auront accès à l’électricité d’ici à 2040 dans les zones rurales, le rapport estime que « 30 % seulement seront raccordés aux réseaux nationaux, tandis que la plupart disposeront d’électricité grâce aux installations à usage domestique ou aux mini-réseaux ». Les populations ont déjà commencé à prendre leur destin électrique en main. « L’électricité fournie par l’État reste chère, sans compter les nombreuses coupures. Les familles sont d’ailleurs souvent obligées de se procurer des groupes électrogènes en secours », ajoute Thierry Barbaut.

« Le marché des kits solaires n’ira jamais plus loin qu’une utilisation réservée aux petits appareils » 

Sunna Design, une société spécialisée dans le solaire et basée dans la région bordelaise, a ainsi commencé par monter des mini-réseaux avant de construire sa propre usine d’assemblage de panneaux solaires au Sénégal. Elle a mis en place un système de mât solaire installé au centre du village pour répartir l’énergie et installe une box chez ceux qui désirent accéder au service. « L’innovation technologique joue un rôle essentiel dans l’électrification de l’Afrique », précise Thierry Barbaut.

Installation d’un mât solaire

Le système du mini-réseau a aussi été choisi par Tristan Kochoyan, fondateur de la start-up Power:On. Grâce à lui, Igbéré, un village de 3.000 habitants au Bénin, dispose depuis septembre 2015 de l’électricité, bien que le village se trouve à 30 km du réseau électrique national. C’est en sortant de HEC Paris en 2012 que Tristan Kochoyan a décidé de se lancer avec son associée locale, Louise. « Je veux démontrer que la fourniture d’électricité peut être réalisée de façon durable et rentable, que les populations sont intéressées et qu’elles sauront en tirer profit. Ça change la vie des familles, mais également des entrepreneurs, qui créent des commerces et ont enclenché un vrai développement dans le village », explique-t-il. Pour le moment, le groupe électrogène ne peut pas fonctionner en continu : pour des raisons environnementales, puisque le système mis en place tourne actuellement au diesel, mais aussi économiques. Les habitants d’Igbéré peuvent profiter de l’électricité entre 19 h et minuit. L’objectif est de réaliser une centrale hybride avec panneaux solaires et batteries.

Mais les mini-réseaux demandent plus de temps d’installation, d’investissement, et il s’agit d’un domaine plus réglementé. En ce moment, ce qui séduit les investisseurs, ce sont les kits solaires, qui semblent plus faciles à mettre en place. Un kit solaire, c’est un panneau solaire portable connecté à un boîtier auquel on peut brancher des ampoules LED, charger un téléphone ou encore regarder la télévision. Ce processus transforme le quotidien : les familles arrêtent d’acheter des piles électriques ou des lampes à pétrole et de payer quelqu’un pour charger les téléphones en ville. De plus, c’est une technologie avec paiement par petites sommes, il est donc quasiment indolore pour les populations d’adopter un kit solaire.

Cependant, selon Tristan Kochoyan, « le marché des kits solaires n’ira jamais plus loin qu’une utilisation réservée aux petits appareils. Dire qu’on fait de l’accès à l’électricité en distribuant ces kits, c’est un peu dire “je fais de l’accès à la santé” en distribuant des pansements. C’est une solution de transition en attendant que le réseau national arrive, mais elle ne permettra pas aux villages de se développer ».

Des solutions « souvent bien conçues, mais mal adaptées » 

En Afrique, la première source d’énergie reste la biomasse, essentiellement du bois. L’augmentation de la capacité électrique installée et le recours croissant à des ressources renouvelables pourraient pourtant transformer l’économie et les modes de vie africains. D’autant plus que les énergies renouvelables constituent un pilier majeur du « plan d’affaires pour le climat en Afrique » (Africa Climate Business Plan) lancé par la Banque mondiale lors la COP21, à Paris, en 2015 pour mobiliser 16 milliards de dollars d’ici à 2018.

Un barrage hydroélectrique au Rwanda.

On promet d’ailleurs à l’Afrique une explosion de la production d’énergies renouvelables, notamment issues des technologies solaires, dans les années à venir. « L’hydroélectrique et le photovoltaïque prédominent. Au Rwanda par exemple, ils ont recours à des champs photovoltaïques. C’est une petite révolution, dit le rédacteur en chef d’Énergies renouvelables en Afrique, qui ajoute : Il y a également de nouveaux leviers de financement : les coûts des énergies vertes ont été réduits. » Ainsi au Maroc, le projet Noor de centrale photovoltaïque permet de diversifier l’énergie tout en continuant d’utiliser les énergies fossiles (pétrole à 62 %, charbon à 20 % et gaz à 5 %). Le pays a également mis en place une douzaine d’installations hydroélectriques et une dizaine de parcs éoliens.

En 2016, le Sénégal s’est de son côté doté de sa première centrale solaire : Senergy II. Avec une capacité de 20 mégawatts, elle a permis à ce pays d’Afrique de l’Ouest de fournir de l’électricité à près de 200.000 personnes et de se rapprocher d’un mix énergétique vert. Le gouvernement s’est fixé comme objectif 20 % d’énergies renouvelables pour 2017. Le pays, dont près de la moitié de la population n’a pas accès à l’électricité, voudrait à terme devenir la locomotive énergétique verte de la sous-région. En 2016 également, Schneider Electric a décroché un contrat de vente de centrales solaires dans l’ensemble des huit pays formant l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) : Togo, Côte-d’Ivoire, Bénin, Niger, Mali, Burkina Faso, Sénégal et Guinée Bissau. Le regroupement régional des huit, représenté par la société togolaise Saber, gérera les 8 centrales solaires, d’un coût de 5,4 millions d’euros, qui fourniront l’électricité à 100.000 personnes.

La centrale solaire Noor, mise en service en février 2016, près de Ouarzazate, au Maroc.

Mais la floraison d’initiatives laisse Thierry Barbaut perplexe : « Pour le moment, il n’est pas concevable d’électrifier l’Afrique uniquement avec des énergies vertes. On ne pourra pas fournir de l’électricité à tous de manière convenable. » Selon lui, les solutions « sont souvent bien conçues, mais mal adaptées. Depuis des années, rien ne change. C’est une sorte de bulle spéculative et de communication », dit l’expert, pour qui « la priorité serait d’adapter les solutions aux réalités du terrain ».

Source : reporterre.net


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